Pluie Noire a beau être un film en noir et blanc, il a été réalisé en 1989 et présenté au Festival de Cannes la même année avec pour récompenses le Prix spécial et un Prix technique. Le réalisateur Shohei Imamura y a d’ailleurs reçu deux Palmes d’or, en 1983 pour La Ballade de Narayama et la seconde ex-æquo en 1997 pour L’Anguille (Unagi). Pluie noire évoque la catastrophe autant humaine que sociale engendrée par la bombe atomique lâchée sur Hiroshima le 6 août 1945 et les conséquences dramatiques sur le population. Entre flashback et images terribles d’humains affreusement brûlés, le film offre une méditation sans concession sur les changements engendrés par la catastrophe dans la société japonaise.
Un film au réalisme effrayant
Pluie noire est l’adaptation d’un classique de la littérature de la bombe atomique paru en 1966 et écrit par l’auteur Masuji Ibuse. Le film débute avec des scènes de la plus paisible normalité à proximité d’une grande ville japonaise. En un instant, un éclair déchire le ciel et l’apocalypse s’abat sur Hiroshima. 3 personnages moins touchés que les autres cherchent à s’enfuir et traversent des paysages dévastés où errent des quasi-zombies, humains affreusement mutilés et irradiés qui se demandent ce qu’il leur est arrivé. La scène est une des plus puissantes jamais vues sur film pour tous les spectateurs, on quitte l’imagination pour se plonger dans un réel sans fard. Et puis le film se décale 5 ans plus tard au début des années 1950 pour revenir régulièrement au moment fatidique où la bombe Little Boy a atomisé Hiroshima avant que Fat Man ne s’abatte sur Nagasaki 3 jours plus tard. Le spectateur sait que ces deux bombes ont permis la capitulation sans condition de l’empire japonais le 15 août avec l’entrée du monde dans l’ère de la dissuasion nucléaire en même temps que dans la guerre froide. Le film évoque d’ailleurs l’impact vertueux de la guerre de Corée à partir de 1950 sur l’économie japonaise fortement mise à contribution par l’occupant américain pour produire des armes. Mais le film souligne surtout le destin de celles et ceux que le reste de la population a considéré comme des hibakusha, des atomisés que personne ne veut vraiment côtoyer et encore moins épouser. Au sein d’une société aux codes ancestraux, la bombe atomique a marqué un changement brutal que Shigematsu, sa femme et leur nièce Yasuko ressentent chaque jour. Famille appartenant à la communauté des survivants exposés aux radiations, ils sont réduits au silence par les autorités pendant une dizaine d’années par l’intermédiaire d’un code de la presse interdisant toute référence à la bombe. Yasuko est exclue de l’espace rituel ancestral du mariage et tous les prétendants tournent les talons quand ils apprennent que la jeune femme a traversé l’un des orages de pluie noire radioactive qui succède à chaque bombardement atomique. L’empreinte d’une mémoire indélébile du drame nucléaire sur le corps individuel et social s’impose à tous irrémédiablement avec pour conséquence un réflexe de rejet. Une Yasuko en pleine détresse se rapproche d’un autre marginalisé, Yuichi, ancien soldat qui perd tous ses moyens au bruit d’un véhicule à moteur s’approchant de lui. Il rejoue à chaque fois à grands cris le geste conditionné qui consistait à placer une bombe sous les chars américains en hurlant : Mission accomplie! Le cinéaste rapproche les deux personnages pour bien souligner l’impossibilité pour eux de vivre une vraie vie paisible, marqués qu’ils sont dans leur chair et dans leur esprit par les affres de la guerre. A eux deux, ils incarnent un Japon à l’identité défaite, blessé par les années de conditionnement militariste. Ils sont les témoignages vivants de cet âge des extrêmes avec la guerre et la mémoire de la bombe.
Pluie noire est un film absolument immanquable consacré à une période charnière de l’histoire de l’humanité, celle où la science s’est abattue sur les populations pour créer un désastre qui a changé la vision du monde pour tous. Le film est à découvrir en version restaurée le 11 mai dans les salles de cinéma pour une expérience cinématographique unique.
Synopsis: Hiroshima – 6 Août 1945. La vie suit son cours, comme tous les jours. Un terrible éclair déchire le ciel. Suivi d’un souffle terrifiant. Et l’Enfer se déchaîne. Des corps mutilés et fantomatiques se déplacent parmi les amas de ruines. Au même moment, Yasuko faisait route sur son bateau, vers la maison de son oncle. Une pluie noire s’est alors abattue sur les passagers. Ils ne savaient pas, ils ne savaient rien Quelques années plus tard, les irradiés sont devenus des parias dans le Japon d’après-guerre.