Théorème Je me sens un cœur à aimer toute la terre, une pièce surprenante au Théâtre du Vieux Colombier

La troupe de la Comédie Française interprète une adaptation moderne du Théorème du Pier Paolo Pasolini sorti sur les écrans en 1968. L’écrivain, poète, peintre, journaliste, traducteur, dramaturge, artiste visuel, acteur, scénariste et réalisateur italien avait choqué la société italienne avec sa critique acerbe et frontale de la bourgeoisie si pleine de certitudes endormies. Amine Adjina reprend l’essentiel du canevas initial en ajoutant des éléments très actuels pour évoquer notre époque si emplie de peurs sur l’avenir et le présent.

Une métaphore pleine de sens

Le film de Pasolini n’y va pas par 4 chemins. Sitôt arrivé au sein de la famille, l’énigmatique étranger ne tarde pas à avoir des rapports sexuels avec chacun de ses membres : la bonne, le fils, la mère sexuellement refoulée, la fille timide et le père tourmenté. Les différences entre la pièce et l’opus tiennent notamment aux choix de mise en scène de l’auteure et d’Emilie Prevosteau. Rencontré par la matriarche de la famille sur une plage, l’étranger est invité dans sa maison alors que le reste de la famille est sur le point d’arriver pour un séjour. La scène rend compte de cette maison aux atours estivaux, faite pour le repos mais qui va connaitre des véritables retournements de conscience, incessants et continus. Les inimités sont légion dans ce microcosme en vase clos. Le fils et la fille envisagent des carrières artistiques que leur père entrepreneur assidu réprouve. Leur mère est en mode pilotage automatique pour éviter de ressentir les contrariétés et la bonne prend soin seule de la grand-mère en fin de vie. L’étranger bouscule cet ordre établi. Par son attitude perpétuellement mesurée et son physique avenant, il ensorcèle la maisonnée comme à l’aide d’un maléfice. Les têtes et les esprits tournent et les certitudes s’effondrent comme en quelques secondes. La pièce insert des éléments qui détonnent, comme avec cette mention d’un poète écrasé sur un parking près de la plage, de la même manière que Pasolini lui-même sur la plage d’Ostie en novembre 1975. La mise en abime est totale et confond réalité et fiction. Les protagonistes évoquent incessamment une candidate d’extrême droite aux portes de la présidence, sans mentionner de nom, mais la salle sait exactement de qui il s’agit, surtout l’ex candidate socialiste assise dans la salle. La plus jeune répète le rôle d’Elvire dans la préparation du Dom Juan de Molière, rappel de ce que l’étranger se sent un cœur à aimer toute la terre. Et le sortilège fait son chemin, enlevant avec lui tous les membres de la famille. Les 2h15 de spectacle passent dans un souffle avec cette bande son dramatique qui emplit l’air de vibrations contradictoires. Un tour de chant de la jeune fille finit par persuader que plus rien ne sera jamais le même une fois l’étranger reparti. Le théorème est démontré avec l’incapacité pour l’homme et la femme moderne de percevoir, écouter et partager avec ses semblables. L’étranger s’en fait l’émissaire et l’interprète, tel un deux ex anima sorti de la bible, mi-démiurge mi démon.

Les 4 comédiennes et les 3 comédiens sont tous au diapason d’un texte lourd de sens et profond comme un abime sans fond. La pièce est visible jusqu’au 11 mai au Théâtre du Vieux Colombier pour un moment de théâtre qui ne laisse pas indifférent.

Synopsis: Dans cette photographie d’une famille bourgeoise du XXIe siècle, assurée de son confort matériel et moral, l’intimité est bousculée par la venue d’un garçon au charisme en tous points exceptionnel. Cette pièce originale d’Amine Adjina, écrite pour la Troupe, se déroule dans une maison au bord de la mer où résident la grand-mère paternelle et Nour, jeune fille qui s’occupe d’elle. À leur arrivée, les parents et leurs deux enfants apprennent que la grand-mère a invité un inconnu croisé à la plage. Les metteurs en scène, Amine Adjina et Émilie Prévosteau, qui travaillent depuis 2012 au sein de la compagnie du Double sur les mythes anciens et modernes, de Phèdre à Marilyn Monroe, s’emparent ici de la parabole de la Visitation, développée par Pasolini dans son roman Théorème et le film au titre homonyme qui fit scandale en 1968 à la Mostra de Venise. Le thème est croisé avec le personnage d’Elvire dans Dom Juan de Molière, que la jeune fille apprentie-comédienne répète. Le fils s’exerce pour sa part à des portraits vidéo, sans que ces deux âmes d’artiste ne soient prises professionnellement au sérieux par le père, chef d’entreprise. La tension dans son couple est vive, tant son épouse se sent étriquée dans sa vie. L’arrivée du garçon bouleversera intimement tous les membres du foyer, qui succomberont à son charme inexplicable. Au sein d’une scénographie aux multiples espaces qui permet une circulation des corps et des regards, la pièce interroge la domesticité contemporaine mais aussi la notion d’héritage, social et culturel. Dans une France prête à basculer à l’extrême-droite, les relations entre les personnages racontent notre appréhension du monde moderne, de la vieillesse et du désir. L’ancrage familial hésite entre le clanique et l’émancipation. De ce quotidien émane la force poétique et libératoire du théâtre. Le texte de la pièce est à paraître le 5 avril 2023 chez Actes Sud-Papiers. Avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande ambassadrice de la création artistique

NOS NOTES ...
Originalité
Mise en scène
Jeu des comédiens
Plaisir de la pièce
Stanislas Claude
Rédacteur ciné, théâtre, musique, BD, expos, parisien de vie, culturaddict de coeur. Fondateur et responsable du site Culturaddict, rédacteur sur le site lifestyle Gentleman moderne. Stanislas a le statut d'érudit sur Publik’Art.
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