Un « Huis clos » brûlant au Théâtre de l’Atelier

Un "Huit Clos" brûlant au Théâtre de l'Atelier
Inès (Marianne Basler, à gauche) et Garcin (Maxime d’Aboville) harcèlent Estelle (Mathilde Charbonneaux). (© Pascal Victor/Opale)

Un « Huis clos » brûlant au Théâtre de l’Atelier

Dans ce propos existentialiste, un homme et deux femmes vont se découvrir tels qu’ils sont perçus par les autres dans un jeu de miroirs sombrement lumineux. Bienvenue en enfer !

« Huis clos » est une pièce en un seul acte, représentée pour la première fois en 1944, un an après la première des « Mouches ». La pièce reprend certains éléments tragiques puisque l’intrigue est dominée par la notion de fatalité et de damnation. De plus, la pièce met en scène un trio dans lequel une personne est déjà de trop. En effet, les tragédies reposent souvent sur des relations triangulaires problématiques. Les personnages sont amenés à se dépouiller de toutes les convenances sociales et à construire des relations authentiques. Chacun devient le juge et le bourreau de l’autre. Comme dans « Les Mouches », la pièce interroge la notion de remords et de culpabilité.

Cette pièce s’inscrit dans la philosophie existentialiste de Sartre, selon laquelle l’être humain est fondamentalement libre et forge sa vie par ses actions. Il n’existe aucune autorité supérieure, aucune référence divine ou transcendante, l’Homme est seul. Cela explique sans doute pourquoi les personnages se retrouvent dans un enfer quotidien, banal, où ils sont livrés à eux-mêmes et aux deux autres.

Ce texte, satire féroce de la condition humaine, et que Sartre voyait comme éminemment drôle, empreinte les codes du vaudeville pour mettre en scène une mécanique à la théâtralité implacable et dont s’empare avec brio la mise en scène de Jean-Louis Benoit.

Regroupé dans un salon contemporain, qui réactualise à l’envi le décor second Empire, avec trois imposants canapés en cuir ainsi qu’en arrière plan une porte surdimensionnée qui ne se rouvrira pas, accentuant l’enfermement des protagonistes propice à la confession, le trio va vite révéler ses bassesses et autres lâchetés entre amis, galerie des glaces et des grimaces de l’âme humaine. Le genre de soirée où les masques ont tendance à vite tomber. Et Inès de conclure : « Pour qui jouez-vous la comédie ? Nous sommes entre nous ».

Le pitch est connu : trois personnages, deux femmes et un homme, très différents dans la vie, se retrouvent donc en enfer, dans une même pièce, après leur mort, pour l’éternité. Que leur reste-t-il puisqu’ils n’ont plus la mort pour se délibérer des autres ? Et qui vont se livrer à un jeu infernal de condamnations et d’humiliation, d’alliances et de trahisons. Le thème, pour être noir, n’en produit pas moins des effets souvent comiques, où Sartre nous parle souvent plus de la vie, dans ses contradictions, que de la mort.

Trois personnages si différents les uns des autres ?

Garcin est l’archétype du « lâche » sartrien : un pacifiste qui a préféré fuir face à la guerre au lieu de rester et d’affirmer ses convictions qu’il avait choisies librement. De plus, dans la mort, il tente de faire passer sa « lâcheté » pour un acte héroïque. Estelle, quant à elle, ne cesse de se réfugier dans l’imaginaire et n’assume pas la responsabilité de ses actes (son mariage de raison, son adultère, le meurtre de son enfant). Seule Inès est « authentique » pour l’auteur, à savoir qu’elle assume entièrement ses actes et son passé.

Mise à nu

Des personnages qui vont donc passer leur temps à se harceler et à se dresser les uns contre les autres. Chacun optant pour le mensonge, l’illusion de ce qu’ils ne sont pas, la négation de leur être réel. Tous font mine d’être en enfer par erreur, ou du moins de ne pas comprendre ce qui a pu les y conduire supposant qu’il s’agit probablement d’une erreur administrative quant à leur dossier respectif. C’est compter sans la ténacité que chacun va mettre afin d’arracher le masque d’impavidité de son colistier et lui faire avouer ses crimes terrestres, sa trahison en acte des valeurs dont tour-à-tour ils se revendiquent et qui ne s’avèrent être que de pathétiques trompe-l’œil.

A la fin, nus de vérité les uns devant les autres, ils prennent conscience du dispositif dans lequel ils sont et qui s’est retourné contre eux : « l’enfer c’est les autres » car la vie se perçoit à travers le regard des autres.

Il y a quelque chose de salvateur à se replonger aujourd’hui dans les propositions existentialistes de Sartre. Courant longtemps dominant des années soixante jusqu’à la fin des années 80, la pensée existentialiste a pourtant entièrement disparue de l’actualité ainsi que les œuvres de leurs auteurs. Pourtant, comme le dit Sartre, « l’existentialisme est un humanisme » et l’humanisme est ce qui manque dans une société de plus en plus perçue comme inhumaine.

L’individu est habité par un désir d’être nous dit Sartre et c’est un piège dans la mesure où il ne peut pas être satisfait, notamment dans la relation du sujet aux autres car nous attendons d’autrui ce qu’il ne peut pas nous donner.

C’est d’ailleurs le postulat de toute la pièce qui repose sur le fait que chaque personnage attend de l’autre qu’il le sauve. Nous attendons que l’autre nous regarde, nous contemple, nous aimerions s’approprier ce regard, mais le salut n’est pas possible. Ces personnages pourraient sortir de l’enfer en renonçant à se sauver. Mais ils s’y refusent et ils restent condamnés à être les bourreaux les uns des autres.

La mise en scène de Jean-Louis Benoit est d’une construction sans faille : subtile, rythmée et distanciée, elle offre un astucieux terrain de jeu aux comédiens où l’ironie et l’humour noir, parfaitement dosés, accompagnent de concert la profondeur du texte.

Forts d’un jeu enlevé et percutant, les comédiens sont aux anges où chacun se complait à devenir le bourreau de l’autre. Maxime d’Aboville (en alternance avec Guillaume Marquet) campe avec une malice réjouissante ce Garcin imbu de lui même, tandis que Marianne Basler excelle en lesbienne sulfureuse, qui traque avec une voracité non dissimulée, la mauvaise foi de ses deux comparses. Quant à Mathilde Charbonneaux, elle est parfaite en mondaine hystérique et dédaigneuse à souhait. Bravo !

Dates : à partir du 2 février 2022 – Lieu : Théâtre de l’Atelier  (Paris)
Metteur en scène : Jean-Louis Benoit

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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