Une famille intranquille selon Krzysztof Warlikowski, à l’Opéra Garnier

Une famille intranquille selon Krzysztof Warlikowski, à l’opéra Garnier
Photo : © Bernd Uhlig / Opéra National de Paris

Une famille intranquille selon Krzysztof Warlikowski, à l’Opéra Garnier

A Quiet Place est créé en 1983 par Leonard Bernstein. Il s’agit de la dernière composition scénique du compositeur américain, pensée comme la suite de l’opéra Trouble in Tahiti, où l’on retrouve le personnage de Sam trois décennies plus tard. Contrairement à son titre, A Quiet Place résonne du fracas d’une famille dysfonctionnelle et constitutif de la rupture entre Sam, le père, et ses enfants.

Suite au décès de la mère qui vient de mourir brutalement dans un accident de voiture, les retrouvailles forcées vont exhumer les blessures inavouées et confronter la famille à ses blessures, son hypocrisie, ses préjugés, et les tabous de la société américaine. Une mise à mal d’un bonheur trop parfait qui fait exploser les illusions et les promesses d’un modèle familial bâti sur le mensonge et la mascarade.

Une famille dysfonctionnelle

Le fils Junior arrive en retard pour le dernier adieu à sa mère (Dinah) ; il y revoit plus de 15 ans après les avoir quittés, son père Sam, qui n’a que rancœur, haine et agressivité à son encontre ; sa soeur Dede avec laquelle il a eu des relations incestueuses ; enfin le mari de cette dernière, un canadien français, François, dont il a été l’amant.

Toute la tension repose ici sur le personnage clé de Junior dont la relation tourmentée avec le père se révèle aussi traumatique qu’irréconciliable (lequel finira cependant par pardonner). Mais il faut toute la seconde partie de l’action (les actes II et III) pour que, au cours d’un quatuor vocal ininterrompu qui frappe par la diversité débridée de sa composition, les âmes se dévoilent entre la sœur, le père, François et Junior, pour que le grand pardon s’accomplisse enfin.

Krzysztof Warlikowski dont on connait la singularité et l’exigence de metteur en scène, accompagne d’un geste enlevé cette mise en abîme, où l’inconscient convoque les non-dits familiaux, les refoulements, les frustrations, la culpabilité et les actes manqués.

Idée astucieuse et malicieuse de Warlikowski qui fait apparaitre, dès l’enterrement, le fantôme de Dinah (Johannah Wokalek) où sa figure tutélaire et névrotique hante les protagonistes jusqu’à leur émancipation finale, consacrant l’acceptation de la perte.

Pour installer cette mémoire familiale et ses traumas, le metteur en scène crée avec la décoratrice Małgorzata Szczęśniak, un espace éclaté, d’une grande rigueur formelle, propice au découpage séquentiel et au déploiement, en filigrane, d’un paysage mental aussi fragile qu’introspectif.

Un geste enlevé 

Un décor anguleux qui sied à merveille la mise en scène de Warlikowski. Constitué de plexiglas et de boîtes/lieux/ coulissantes, il offre une exploration sur plusieurs niveaux du drame, entre réalité et introspection, laquelle s’ouvre sur un salon funéraire, puis les pièces de la maison, où les éléments scénographiques, les lumières, la vidéo, les couleurs, convoquent de concert des séquences ultra-réalistes et oniriques, en correspondance parfaite avec le déroulé de la dramaturgie et son embrasement orchestral.

Dans la fosse, Kent Nagano cisèle avec une précision infinie, l’écriture si particulière de Leonard Bernstein. Chaque tableau accompagne la psyché des personnages entre séquences orchestrales, phases méditatives, et tonalités régulières jazzy. Le tout propice à des ruptures et à une énergie singulière et tellurique en synergie avec le déroulement composite de l’œuvre.

Vocalement, le quatuor est parfait. Claudia Boyle vibre de sa voix de soprano légère mais parfaitement équilibrée dans le rôle de Dede aux prises entre un amour filial et conjugal. Le baryton Gordon Bintner campe avec vérité un Junior tourmenté et en quête éperdue de reconnaissance, tandis que le ténor Frédéric Antoun se révèle convaincant dans son personnage aux sentiments troubles. Enfin, Russell Braun incarne ce père à la fois douloureux et résilient.

Dates : du 9 au 30 mars 2022 – Lieu : Opéra Garnier (Paris)
Metteur en scène : Krzysztof Warlikowski

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Plateau vocal
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
une-famille-intranquille-selon-krzysztof-warlikowski-a-lopera-garnier Une famille intranquille selon Krzysztof Warlikowski, à l’Opéra Garnier A Quiet Place est créé en 1983 par Leonard Bernstein. Il s’agit de la dernière composition scénique du compositeur américain, pensée comme la suite de l’opéra Trouble in Tahiti, où l’on retrouve le personnage de Sam...

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici