Une femme invisible, ou à la recherche de la mère d’Aragon (Editions du Rocher)
Nathalie Piégay est une spécialiste d’Aragon sur lequel elle a déjà beaucoup écrit. Cette fois-ci, avec Une Femme invisible, elle s’attaque à la mère d’Aragon. Et ce n’est pas chose aisée.
Une famille pas ordinaire
Si Nathalie Piégay connaît bien Aragon, rien ne lui a été évident quand elle a décidé de retrouver des traces de sa mère et d’en raconter sa vie. Car tout n’était que mensonge dans la famille d’Aragon. A commencer par son adoption. On lui a fait croire pendant des années que ses parents étaient morts dans un accident et qu’il avait été adopté par Claire, la mère de Marguerite. En fait Marguerite était sa mère, beaucoup trop jeune pour être mère. Personne ne devait savoir que Marguerite était sa mère, même pas lui. Et son père n’était autre que Louis Andrieux, préfet de Paris. Son père lui a juste laissé son prénom. Dans la vraie vie, c’était son parrain, un notable, vieux, très vieux, plus de trente ans de plus que sa mère. Un passionné de littérature, un homme qui a écrit lui aussi. Un homme qui a laissé des empreintes même s’il n’a jamais reconnu son fils naturel, Aragon. Mais qui est donc la mère cachée d’Aragon ?
Une femme invisible
Jamais roman n’a mieux porté son nom que celui-ci : Une femme invisible. Marguerite est tombée sous le charme de Louis Andrieux alors qu’il avait l’âge d’être son père. Bien sûr à l’époque, c’était monstrueux. Marguerite était une toute jeune fille. Andrieux, grand bourgeois bien en vue à Paris, était marié, père de trois fils, déjà grands. Il a caché sa relation adultérine avec Marguerite, durant toute sa vie. Andrieux était le parrain de Louis Aragon. Rien de plus. Et Marguerite a toujours attendu Andrieux, toute sa vie. En se cachant. Au moment de la mobilisation de Louis, Marguerite a révélé à son fils le secret de sa naissance, ayant trop peur qu’il ne revienne pas vivant de cette fichue guerre. Aragon a découvert le mensonge dans lequel il baignait depuis sa plus tendre enfance.
Un portrait de femme
Une femme invisible tente tant bien que mal de nous révéler la personnalité de la mère d’Aragon, un de nos grands génies littéraires. L’auteur arrive même à retrouver des écrits de Marguerite et peu à peu à retracer sa vie. Une vie de femme soumise, effacée, du début du XX siècle. Une vie loin d’être trépidante, et sans cesse à la merci de cet Andrieux. C’est comme si elle s’empêchait de vivre, pour être disponible quand Monsieur le serait… Car dans le fond, elle l’aimait cet homme, même si il lui a si peu donné. Et elle l’a montré jusqu’à la fin de la vie d’Andrieux, en le veillant…
Une sorte d’hommage
Publik’Art a particulièrement été touché par ce récit. Car dans le fond Marguerite n’a pas été une femme remarquable, ni remarquée. Mais elle a mis au monde un grand poète et elle savait qu’il serait remarqué. Même si elle a eu beaucoup de mal à garder une relation sereine avec lui, quand il est devenu adulte et ne pensait plus qu’au Parti. Elle ne supportait pas ses opinions politiques. Aragon a côtoyé les grands du XX siècle et est devenu un grand homme. Mais c’est sans aucun doute grâce à sa mère. Cette mère qui aurait tout fait pour Aragon. Marguerite était passionnée d’art comme de littérature. Elle a elle-même écrit, et vendait ses romans pour payer ses factures… Elle publiait des romans dans des magazines pour femmes, comme Mode et roman. Elle faisait aussi des traductions pour payer son loyer.
Elle doit travailler pour gagner sa vie, mais sans le montrer. A sa façon, elle n’a cessé de subir l’humiliation des invisibles. P.154
Elle a aussi peint. Dans d’autres circonstances, une autre vie, Marguerite serait peut-être devenue une artiste reconnue. Une femme invisible est une quête presque sans fin de Nathalie Piégay pour, en quelque sorte, réhabiliter le rôle que la mère d’Aragon a joué dans la vie de ce grand génie. Alors qu’elle n’est jamais citée nulle part. Le livre Une femme invisible, au format très agréable, reste un récit plus qu’émouvant et toujours passionnant.
Présentation :
« Pourquoi ne pas avoir écrit sur une femme qui a fait oeuvre ? Qui a marqué l’histoire ? Qui a laissé derrière elle autre chose que des bribes et un fils ? Pourquoi m’acharner sur une comparse, sur une figure qui n’apparaît que dans l’ombre que projettent les grands hommes, dans les interstices de leur biographie ? Les feuilles s’entassent sur mon bureau, les livres où je cherche sa trace. Tous parlent de son fils, ou d’Andrieux, le père de l’enfant. Elle n’y apparaît qu’au détour d’une parenthèse, elle est reléguée en note de bas de page… »
Dans ce livre, nourri d’une longue recherche, Nathalie Piégay enquête sur celle qui fut la mère cachée d’Aragon. Elle raconte la vie de cette femme libre et la passion qu’elle entretint pour les deux Louis : Andrieux, le père, grand bourgeois parisien, et Aragon, le fils, à qui elle transmit sa passion des arts et de la littérature. Au fil des pages, cette existence invisible et passionnée finit par ressembler à celle d’une autre. L’auteur de ce récit peut-être.
Nathalie Piégay, ancienne élève de l’École normale supérieure, enseigne la littérature française moderne et contemporaine à l’Université de Genève. Elle est spécialiste de Louis Aragon (sur lequel elle a publié de nombreux livres et articles), de Claude Simon et de Robert Pinget. Une femme invisible est son premier récit.
Date de parution : le 22 août 2018
Auteur : Nathalie Piégay
Editeur : Editions du Rocher
Prix : 19, 90 € (352 pages)
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