Une modernité sans frontières : l’École de Paris selon Marek Roefler

Une modernité sans frontières : l’École de Paris selon Marek Roefler
Henri Hayden, Les joueurs d’échec, 1913, huile sur toile, ADAGP, Collection Marek Roefle

Une modernité sans frontières : l’École de Paris selon Marek Roefler

Au Musée de Montmartre, la collection Marek Roefler consacre à l’École de Paris un hommage vibrant, comme un retour à la source. Sous les toits grinçants de la rue Cortot, là où vécurent Utrillo et Valadon, ressurgit l’énergie cosmopolite d’une génération d’artistes venus de toute l’Europe pour réinventer la modernité à Paris.

Une constellation d’exilés

Ils s’appelaient Hayden, Kisling, Zak, Zadkine, Marcoussis, Lempicka. Ils arrivaient de Varsovie, de Riga, de Moscou ou de Prague, chargés de faim et d’espérance. Ils parlaient peu la langue, mais parlaient déjà la couleur. Entre 1910 et 1930, ces peintres venus d’Europe centrale ou orientale trouvent dans la capitale un sol où tout semble possible. Ils inventent une modernité sans manifeste, sans chef d’école : une modernité ouverte, hybride, fraternelle.

C’est cette polyphonie que la collection Roefler célèbre : plus de 130 œuvres rassemblées au fil des années, aujourd’hui offertes au regard du public français. Un geste généreux, presque politique, dans ce qu’il rappelle d’universel : la beauté naît souvent du déracinement.

Au cœur du parcours, Tamara de Lempicka impose sa présence comme une déflagration. Son Russian Dance (1924) — prêtée par la Villa la Fleur en Pologne — condense tout l’esprit des années folles : une géométrie du corps, une sensualité froide, une élégance qui frôle la mécanique.

Chez Lempicka, le cubisme devient érotique, l’Art déco devient une morale. Elle peint comme on conduit une Bugatti : vitesse, maîtrise, vertige. Sa femme est souveraine, son regard, acier. Dans le contexte de l’exposition, elle devient l’emblème de l’émancipation : l’exil transmué en puissance. « Je peins des femmes modernes, disait-elle, fortes, libres et froides. Ce sont mes sœurs ».

Autour d’elle, d’autres voix s’élèvent. Henri Hayden compose des paysages éclatés, cubistes en surface mais lyriques en profondeur. Ses toiles ont le rythme discret d’un exilé qui a trouvé, dans la lumière, un abri provisoire. Moïse Kisling, lui, demeure le peintre du silence. Ses portraits féminins captent l’intime : des regards qui semblent attendre quelque chose du monde. Et puis Ossip Zadkine, sculpteur-poète, dont les dessins tracent la chair du volume avant la pierre. Chez lui, chaque trait est une architecture, chaque figure un fragment d’humanité recomposée.

Marek Roefler, architecte et collectionneur polonais, a bâti sa collection avec méthode et passion. Sa Villa la Fleur, près de Varsovie, abrite depuis vingt ans ces artistes de la diaspora parisienne. En les prêtant à Montmartre, il referme une boucle : celle d’un aller-retour symbolique entre la Pologne et Paris, entre le souvenir et la reconnaissance. Pas de sensationnalisme, pas de prestige tapageur : Roefler préfère la cohérence intime à la rareté spectaculaire. Il assemble des vies, pas des trophée

Ce que cette exposition nous montre, c’est que la création naît souvent du désordre, de la perte, du déplacement. Ces artistes ont fait de leur exil une source d’invention. Ils rappellent, à rebours de tout nationalisme esthétique, que l’art n’a pas de passeport. Dans un monde qui se referme, l’École de Paris apparaît comme une leçon : celle d’un Paris-monde, d’un atelier collectif où l’on parle toutes les langues du sensible.

 Dates : du 17 octobre 2025 au 15 février 2026 – Lieu : Musée de Montmartre (Paris)

NOS NOTES ...
Intérêt
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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