« Angels in America » ou les triangles amoureux d’Arnaud Desplechin, diffusé sur France 4
« Angels in America », la pièce fleuve de Tony Kushner, qui a fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2020 dans la mise en scène du réalisateur Arnaud Desplechin, inaugurant sa deuxième collaboration avec la troupe après « Père » de Strindberg en 2015, fait l’objet d’une diffusion sur France 4, le samedi 24 juin à 21h10.
Cette pièce monstre est un flash-back sur les années 80 qui dresse un portrait à la fois baroque, fantasmagorique et profondément humain d’une époque, secouée par les années Reagan. Une présidence particulièrement réactionnaire marquée par l’incarnation du libéralisme économique et de la morale conservatrice. Mais aussi par l’arrivée dévastatrice du Sida où la pandémie se répand et décime les homosexuels.
Œuvre chorale par excellence, elle entrecroise les destins de plusieurs personnages dont chacun d’eux représente à lui seul une vision de l’Amérique et scrute, sans relâche, les protagonistes aux prises avec leur démon ou leur ange, qui devront repenser dans cette atmosphère de doute, de déstabilisation, de désir de vivre envers et contre tous, leur rapport à la mort, à la vie.
Il y a Prior et Louis, qui s’aiment, mais le SIDA les sépare ; un couple mal accordé, Harper et Joe, troublé par une sexualité incertaine et des croyances religieuses pesantes ; un grand avocat d’affaires, Roy M. Cohn impliqué dans les scandales financiers et politiques du parti au pouvoir ou du maccarthysme antérieur, et dont la vie est aussi en danger ; il y a Belize, infirmier miséricordieux, lourd du double handicap d’être Noir et drag-queen ; il y a Hannah, mère de famille mormone découvrant l’homosexualité nouvelle de son fils. Il y a aussi le fantôme d’Ethel Rosenberg et un Ange qui élit Prior comme Prophète d’un Occident mal en point avant de rejoindre ses congénères dans un paradis aride et déserté par Dieu.
Des anges passent
S’il y est question de peurs et de mensonges aux autres et à soi-même, de la figure emblématique de Roy Con, jouée par Michel Vuillermoz, qui concentre tous les péchés de l’Amérique, la pièce se charge aussi d’une quête d’amour et d’humanisme. Et qu’Arnaud Desplechin exploite avec finesse à travers le triangle amoureux composé des ex-amants Prior et Louis, du juge mormon qui fait son « coming out », de l’infirmier drag-queen, Belize, agrémenté de la parole des anges qui fait son œuvre.
Le tout séquencé à travers une fresque théâtrale fluide qui mêle de nombreux registres allant du sublime au trivial, du comique au tragique, du burlesque à l’intime.
Où à l’abri d’un décor ingénieux mouvant de Rudy Sabounghi, fait de panneaux coulissants, de rideaux et d’images vidéo, on passe d’un lieu, d’une situation à l’autre, alliant la mise en abyme intime des personnages à la dimension politique du propos, qui voit des anges passer et dénoncer le rêve américain ou faire ressurgir au grès des hallucinations des fantômes encombrants de l’histoire à l’instar d’Ethel Rosenberg.
La troupe est emmenée par un Michel Vuillermoz tonitruant, redoutable Roy Coy à la posture aussi insolente que monstrueuse mais aussi Dominique Blanc qui endosse avec une facilité déconcertante, six rôles masculins et féminins. Clément Hervieu Léger porte avec intensité et fragilité toute la blessure intime et spirituelle de Prior, le malade devenu prophète malgré lui, tandis que Julien Frison (Joe Pitt) brûle de sa nouvelle orientation sexuelle. Sans oublier Jennifer Decker, Jérémy Lopez, Florence Viala et Gaël Kamilindi qui ne sont pas en reste.
Date : 24 juin 2023 sur France 4 à 21h10
Metteur en scène : Arnaud Desplechin