Bob Wilson signe un « Opéra de Quat’sous » hautement théâtral
Après « Faust » que nous avions chroniqué, Bob Wilson reprend à Paris sa formidable mise en scène de l’Opéra de Quat’sous entre cinéma muet et expressionnisme allemand avec cet art de l’épure et des lumières dont il est un maître absolu.
Oeuvre emblématique de Bertolt Brecht et Kurt Weill, elle fait la part belle aux comédiens du Berliner Ensemble, troupe mythique fondée par le dramaturge allemand et l’actrice Helene Weigel qui fut son épouse.
L’Opéra de Quat’sous est une satire féroce contre un système et une bourgeoisie corrompue dont la pègre a fait sienne ses valeurs : la justice et la morale sont bafouées, le héros est un truand mais le chef de la police assiste à son mariage tandis que son beau-père est également un escroc. Bref, la débrouille et la roublardise sont à l’œuvre et dans un milieu gangrené par l’appât du gain.
[…] Bob Wilson transcende de son empreinte formelle les masques et les ombres […]
« De quoi vit l’homme? De sans cesse torturer, dépouiller, déchirer, égorger, dévorer l’homme. L’homme ne vit que d’oublier sans cesse qu’en fin de compte, il est un homme » dit Mackie qui règne sur cette pègre. Tout le monde trahit tout le monde. Seul l’argent fait loi affranchi de toute morale.
Un portrait radical de l’humanité sur un ton qui mêle drame, cabaret sensuel et burlesque dans une énergie aussi crépusculaire que subversive.
Au commencement : le difficile mariage de Mackie le surineur, chef d’une bande de voleurs, et de Polly Peachum. Dont les parents, à la tête d’une bande de mendiants qu’ils exploitent, ne reculent devant rien pour y mettre fin allant jusqu’à le dénoncer à la police.
Deux clans qui s’affrontent donc et entre les deux, des flics corrompus et des putains amoureuses.
Arrêté, Mackie s’évade de prison grâce à une autre femme séduite, Lucy. Après de nouvelles dénonciations successives, courses-poursuites et en dépit de tentatives de corruption, Mackie est conduit à la potence.
Mais c’est sans compter sur la morale de l’histoire et son pied de nez qui voit la Reine d’Angleterre lui accorder sa grâce et l’anoblir.
Un théâtre de la ruse brechtienne et du paradoxe qui refuse le premier degré, s’attache à des êtres manipulés : « Qui est le plus grand criminel, celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ? », tous occupés à survivre, partagés entre leur ambivalence et l’urgence de la situation.
un spectacle total
Et Bob Wilson s’en approprie magistralement la teneur, transcende de son empreinte formelle avec des tableaux inoubliables, les masques et les ombres tout droit sortis du cinéma muet expressionniste, dans le pur esprit noir et parodique de l’oeuvre, à l’abri de silhouettes qui se fondent dans une nuit d’où surgissent des visages grimés à outrance et pareils à des doublures fantomatiques d’un monde en perdition.
Le tout en correspondance parfaite avec l’ambiance d’un cabaret berlinois des années 30 où les chansons interviennent en rupture, comme adressées directement par les personnages aux spectateurs pour un opéra hautement théâtral. Un spectacle total.
Dates : du 25 au 31 octobre 2016 l Lieu : Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
Metteur en scène : Bob Wilson l Avec : Berliner Ensemble
Le célèbrissime cabaret L’Opéra de quat’sous du duo Bertolt Brecht et Kurt Weill prend d’assaut le Théâtre des Champs Elysées pour 6 dates exceptionnelles jusqu’au 31 octobre. Tout en allemand surtitré en français, en ombres et lumières et surtout en chansons, la comédie en musique hypnotise le public pendant 3h10 d’un spectacle expressionniste foisonnant. Humour et dramaturgie se mélangent dans un cocktail détonnant. Si quelques longueurs se font sentir de temps à autre, l’impression d’assister à un monument de musique l’emporte.
La critique complète: http://gentlemanmoderne.com/lopera-de-quatsous-au-theatre-des-champs-elysees/