Cinemed 2016 : un Antigone d’Or, des films et des cris de joie

Cinemed 2016 : un Antigone d’Or, des films et des cris de joie

Cinemed
Photo : Vivir y otras ficciones présenté à la 38e édition Cinemed

A lire également, notre reportage du week-end d’ouverture du 38e Festival du film Méditerranéen de Montpellier (Cinemed)

Vivir y otras ficciones de Jo Sol : Antigone d’Or 

Jo Sol a le triomphe modeste, à l’image de sa fiction, proche du documentaire, Vivre et autres fictions, qui vient de remporter la récompense suprême au 38e Cinemed. Le sourire est bel et bien présent, mais la joie contenue. L’homme est un résistant, un passionné, un engagé. Son film représente bien l’Espagne actuelle, prise entre tradition, crise économique et révolution sociale et culturelle.

Porté par ses deux brillants interprètes, Antonio Centeno et Pepe Rovira, le film de Jo Sol est un hymne à la vie et à la liberté. Qui mieux que ces deux hommes, fracassés par le destin, pouvaient symboliser cet anticonformisme universel que l’homme se devrait d’attendre. Antonio est tétraplégique, Pepe sort d’un hôpital psychiatrique. Tous deux essaient de survivre dans un monde qui n’est pas fait pour eux, qui ne leur est pas adapté, comme il est coutume de dire. Cette victoire de l’esprit sur le corps chez Antonio, grâce à l’émancipation sexuelle des handicapés, est contrebalancée avec force et rigueur par la défaillance chronologique de Pepe, bien portant apparent, rongé par ses démons intérieurs.

viviryotrasficciones_cartel_dani-sanchisEt pourtant, on n’arrête pas de sourire, voire de rire lors de cette projection. Le ton sarcastique et humoristique, utilisé par Jo Sol pour servir ce récit et les thèmes abordés, est joué sur une note juste. J’en étais convaincu dimanche après-midi dernier, Laetitia Casta et son jury aussi. Au-delà d’une histoire forte, bien filmée, bien jouée, Vivre et autres fictions est aussi et avant tout le retour du grand cinéma espagnol « à la Almodovar », où le quotidien de ces gueules cassées est rehaussé par des notes de flamenco et de la poésie chantée qui vous arrachera des larmes jusqu’à la dernière image.

Un Cinemed sans compétition

Ce ne fut certes pas la plus prolixe des années côté compétition pour moi, dû à un emploi du temps professionnel assez chargé, mais force est de constater que mon ressenti du film de Jo Sol fut le bon, comme annoncé sur mon twitter (@JM_Siousarram). Demain dès l’aube, de Lofti Achour, malgré une forte volonté de bien faire et une pléiade de thèmes traités, l’ensemble reste trop arty pour dépasser le concept de l’anecdote.

Quand on compare à Mustang de Deniz Gamze Ergüven sur le sujet semblable de la condition de jeunes filles dans l’éducation musulmane, l’évidence saute aux yeux. Reste de très belles images et une interprétation concernée. L’actorat est d’ailleurs au centre de la réussite d’Apprenti d’Emre Konuk. Porté par l’incroyable débutant Hakan Atalay, ce tout premier film brasse une foultitude de sujets inhérents à la Turquie moderne, tout en s’appuyant sur la toujours très efficace hypocondrie de son personnage principale. On pense à Buster Keaton et à Blake Edwards pour cet humour noir et absurde mâtiné de poésie. Son réalisateur préfère citer Polanski et Haneke. Vous l’aurez compris, ici, on nage en pleine psychanalyse traitée façon pince sans-rire dans un quotidien en apparence tout ce qu’il y a de plus normal. Œdipe ou pas, libérez-les !

Tunisie, terre de cinéma

C’est l’un des derniers pays au monde qui est descendu dans les rues pour couper la tête de son dirigeant tandis que celui-ci envoyait ses réponses à balles réelles. C’est l’un des rares pays musulmans où la démocratie bat son plein, et est traversé par de nombreuses zones de turbulences. Ce n’est pas un hasard si DAESH frappe ce beau pays épris de liberté et d’envie.

Ce n’est pas non plus un hasard si le Cinemed a choisi les tunisiens pour être le fer de lance de cette année de renouveau. L’An 1 Filippetti. L’An 1 Leparc. Leïla Bouzid avait lancé avec fougue son A peine j’ouvre les yeux, l’an dernier à la même heure. Elle revient sur place, bien accompagnée par ses compatriotes, tous bien décidés à montrer la flamboyance culturelle tunisienne depuis la chute de Ben Ali. Michelle Driguez, responsable de la section court-métrage, leur avait fait une place depuis des décennies, maintenant, Géraldine Laporte et l’équipe du Cinemed les installe à longueur de journée et dans toutes les catégories.

Cinemed 2016
Zaineb n’aime pas la neige » de Kaouther Ben Hania, prix du meilleur film documentaire au Cinemed de Montpellier

Kaouther Ben Hania, venue dévoiler son nouveau documentaire Zaineb n’aime pas la neige, est celle qui parle le mieux de la situation paradoxale du pays, où une fraction est en train d’arriver entre Tunis et le Nord, et les provinces du Sud qui subissent pauvreté et violence islamiste : « Il y a beaucoup de Bas depuis le départ de Ben Ali, mais pour rien au monde on ne regrettera cette révolution qui a renforcée nos libertés individuelles et culturelles ». Ce Printemps tunisien, il est bien illustré dans le trop scolaire nouveau film de la réalisatrice de l’audacieux Satin Rouge, Raja Amari. La plupart d’ailleurs des réalisations nouvelles ont ce désir de dire des choses, mais la forme reste encore trop polie.

L’uppercut Hedi

Jusqu’à l’avant-première d’Hedi de Mohammed Ben Attia. L’Ours du premier film de Berlin est précédé d’une flatteuse réputation. Et le rendez-vous au Diagonal mardi soir avant la fête au Rockstore constitue le point d’orgue de cette mise en avant de la Tunisie au Cinemed. Foule des grands jours dans ce qui reste du cinéma d’auteur à Montpellier. Sauna improvisé dans le hall pendant une demi-heure. Les collègues essuient refus sur refus, c’est sold out. J’ai retenu la leçon des bien-nommés Opportunistes de Virzi qui m’avait laissé à l’air frais il y a un an. Quelques mésaventures avec une échelle, des panneaux de sortie de secours et une alarme plus tard, nous y sommes.b

Même si on démarre avec près d’une heure de retard, le cinéma à l’échelle humaine, y’a que ça de vrai. Cette dernière expression pourrait parfaitement coller à Hedi. L’histoire simple d’un jeune tunisien plutôt effacé qui va devoir confronter son destin à la dure réalité d’un pays coincé entre traditionalisme et désir de liberté. Le parallèle est saisissant. L’interprétation de Majd Mastoura, tout en intériorité et en non-dits cannibales, est l’un des sommets de cette année 2016. Sa partenaire Rym Ben Messaoud y est pour beaucoup dans la balance contrastée de ce duo improbable et magique à la fois. Trois bouts de ficelles scénaristiques pour un acte majeur de ce Cinemed. Le plus beau.

Mohammed Ben Attia sait capter l’essence même des sentiments, sans fausse note, sans répit, sans concession, comme un certain Asghar Farhadi. Le vrai cri de liberté de cette jeune Tunisie.

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Hedi, un vent de liberté – Photo : Majd Mastoura, Rym Ben Messaoud © Mohamed Ben Attia

Revivre selon Valéria Bruni-Tedeschi et Grand Corps Malade

Dans ce festival d’avant-premières qui aura vu passer un fade Rocco, portrait aseptisé sous forme de porno-chic de la plus grande star du X, où la scène la plus WTF du festival consiste à faire avaler une paluche taille Gulliver à la pauvre miss (en) Danger ; y en avait pour tous les goûts. Du thriller paranoïaque tendance Stasi avec le plus beau casting de ces 9 jours : La Mécanique de l’ombre, de Thomas Kruithof. Formellement très réussi, mais il manque toujours ce petit quelque chose aux films de genre hexagonaux pour entrer instantanément dans la catégorie culte. Mécaniquement bien huilé. Comme les chorégraphies et les gestes remplis de douceur d’un certain Thierry Thieu Niang, danseur émérite et, pour le coup, acteur fantastique.

Il y a bien sûr cette fameux Jeune fille de 90 ans qu’est Blanche Moreau, espiègle et bouleversante à la fois, dans le premier documentaire signé de l’engagée Valeria Bruni-Tedeschi. Elle est y tombée amoureuse, comme nous tous, tous sexes et âges confondus, de Thierry Thieu Niang. Rarement la danse, l’amour, la passion des gestes, des mots, des regards, n’ont atteint ce paroxysme. Valeria le dit elle-même : « J’étais parti pour tourner un court reportage de 20 minutes sur la thérapie de Thierry, mon film dure 4 fois plus longtemps. On a été pris par ce tsunami de sentiments. ». Rien à rajouter si ce n’est encore une fois bravo Mme Bruni-Tedeschi, vous avez raison, le cinéma fait naître des émotions qu’on croyait qu’elles n’existeraient plus.

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Patients : Photo © Gaumont Distribution

L’espoir, mais encore plus le combat, ce sont les fils rouges de Patients, le premier long-métrage autobiographique du génial touche à tout, Grand Corps Malade. Tiré de son expérience en centre de rééducation médical après son grave accident qui l’a rendu presque tétraplégique, le slameur dévoile en première mondiale, une œuvre singulière, à forte personnalité, qui traite avec humour et répartie du handicap et d’une multitude d’autres sujets. Un vrai cri d’espoir humaniste et sociétal porté par une bande de jeunes hyper talentueux.

Ce fut mon dernier cri de joie pour ce 38e Cinemed. Vivement le prochain.

NOS NOTES ...
Intérêt
Organisation
Plaisir
Jean-Marie Siousarram
Manipulateur de mots pour la presse web depuis quelques années. Cinéphage compulsif, féru de culture en tout genre, de voyages, de musique électronique, de foot. Rejeton de Chaplin & Hitchcock.
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