Contre la bienveillance d’Yves Michaud : halte aux vertus mal placées ! (Stock)
Comment ça « contre la bienveillance » ? Yves Michaud tournerait le dos à une vertu moderne de premier plan ? C’est effronté et surtout, c’est calculé… Son titre ne se rapporte qu’à la politique.
C’est dans ce domaine et dans ce domaine seulement que le philosophe s’oppose à l’intrusion de la bienveillance. Parce que les politiciens usent et abusent de cette arme pour séduire les électeurs. Plein de sollicitude et de leçons morales, ces hommes devraient être le cœur vibrant de l’Etat mais ils sont plutôt le fruit de son dysfonctionnement ! On ne base donc pas une politique sur la générosité et l’altruisme. Voilà ce que nous détaille Yves Michaud dans ce livre source de débats.
Certaines de nos vertus appartiennent à la sphère privée, elles sont belles parce que discrètes. Elles ne devraient jamais basculer dans le domaine public, du moins pas de façon aussi ostentatoire et envahissante. Comme les politiques qui tirent trop sur notre corde morale dans leur discours.
L’auteur voudrait un retour à plus de rationalité. Et c’est les pieds sur terre et sans sentimentalisme qu’il se pose et nous pose des questions mille fois ressassées mais jamais résolues. Faut-il accepter les migrants sur notre territoire ? Le FN est-il un monstre ou un parti républicain comme les autres ? L’ingérence internationale est-elle justifiée par le bien-être des populations locales qui souffrent ?… Autant d’interrogations où il nous avertit : la morale ne doit pas être notre guide.
Au fur et à mesure des pages tournées, on découvre les multiples obsessions de l’auteur. L’une d’elles : « l’Etat guichet ». Un Etat où chacun en fonction de ses vulnérabilités et de ses souffrances vient se servir. Un Etat où les droits ne sont plus équilibrés par les devoirs. RSA, indemnisations, revenus minimum, allocations… Les Français n’ont qu’à venir piocher. Un problème qu’il voudrait résoudre par une touche d’autoritarisme.
Selon lui, l’Etat ne peut pas tendre la main à tout le monde en exigeant si peu en retour. Car nous avons tous tendance à être des passagers clandestins. Nous montons sur l’embarcation sans payer. Mais alors qui paie ?
Ce n’est pas un livre divertissant mais le fruit d’une réflexion qui se fait urgente. A contre-courant de l’humanisme qui parcourt les rangs du pays, des idéaux de Nuit Debout et de la gauche altruiste. Mais son argumentaire ne se range dans aucun parti, ne cherchez pas. Et c’est probablement parce qu’il en est détaché, qu’il est intéressant. Lisez-le même que ce soit pour acquiescer ou le contester.
Entorse au bon journalisme, ce n’est que maintenant que l’identité de l’auteur est dévoilée. Philosophe, Chevalier de la Légion d’honneur et Officier des Arts et des Lettres, il a transmis son savoir dans les universités de Montpellier, Berkeley, Edimbourg, Rouen… bref, il a de la bouteille. Et parfois les gorgées de vie sont un peu amères. Récemment, elles l’ont été pour tous.
84 nouveaux morts nous rappellent, si besoin, que notre politique est défaillante. Mais nous le savons déjà : la France pleure trop souvent ces derniers temps. Et notre génération, celle qui doit faire demain, ne pourra qu’empêcher qu’il se défasse. Un avenir pas des plus lumineux.
Combien de morts encore pour que l’on devienne plus fort
Combien d’errances parce que les politiques manigancent
Combien de discours où leurs mots ne tiendront pas un jour
Le constat est maintenant partout : la puissance du fondamentalisme religieux, la montée des populismes de droite comme de gauche, le discrédit de la classe politique, le rejet de la construction européenne, rendent caducs les schémas anciens. En particulier l’idée que la démocratie, à force de bienveillance, peut tolérer toutes les différences, toutes les croyances.
Oui ! Il y a des croyances insupportables et intolérables. Non ! Le populisme n’est pas une illusion qui se dissipera d’elle-même avec un peu de pédagogie et de bonne volonté. Non ! La politique internationale n’obéit pas aux chartes du droit international.
Il faut dénoncer la tyrannie des bons sentiments, la politique de l’émotion et de la compassion. Non que la bienveillance soit un sentiment indigne, mais nous devons cesser de croire qu’on peut bâtir sur elle une communauté politique.