Des « Sorcières de Salem » possédées par la troupe du théâtre la Ville
Emmanuel Demarcy-Mota revient avec « Les Sorcières de Salem », une pièce d’Arthur Miller qui raconte comment la manipulation et l’aveuglement collectif peuvent conduire une communauté à se déchirer dès lors que la raison cède à l’injustice et que les fausses croyances s’opposent à toute recherche de vérité.
Un texte porté par des acteurs au diapason et une scénographie crépusculaire dont le metteur en scène restitue avec éclat la puissance souterraine et le trouble irrationnel.
En 1692, la petite ville de Salem, aux États-Unis, fut le théâtre d’une des plus incroyables chasses aux sorcières : en proie à des phénomènes inexpliqués, les habitants traînèrent en justice et condamnèrent à mort, sur les accusations de quelques jeunes filles, 19 membres de la communauté accusés de sorcellerie. C’est ce mécanisme de dénonciation et de traque des boucs émissaires qui intéressa Arthur Miller quand il s’inspira de cette histoire vraie, sachant qu’il avait lui-même baigné dans la période du maccarthysme.
Tout a commencé lorsque Elisabeth découvre la liaison que son mari, John Proctor, entretien avec leur servante Abigail et renvoie celle-ci. Pour se venger, la jeune fille réunit quelques-unes de ses amies et organise au plus profond de la forêt une séance de sorcellerie censée nuire à Elisabeth. Les jeunes filles sont toutefois surprises lors de cette session et afin d’échapper aux sanctions, se prétendent victimes du diable.
Se met alors en branle une machination infernale sur fond de religion et de puissances démoniaques, où entre mensonges, suspicion, délation et vengeance, chacun s’observe, se méfie de l’autre, et tente de sauver sa peau.
Du mensonge à l’aveuglement collectif
On assiste à la mécanique implacable qui se met en place entre des habitants qui s’attaquent et se défendent dans un aveuglement le plus total ou comment chaque individu aux prises avec les plus bas instincts, se laisse aller à dénoncer impunément son voisin, son rival, aux fins de l’éliminer et sous couvert de la recherche d’une forme de pureté.
Entre le puritanisme du révérend Parris, persuadé que toute distraction est l’œuvre du diable ; l’hystérie des Putnan convaincus que seules des sorcières sont à l’origine du décès de leurs jeunes enfants ; la quête d’absolu d’adolescentes en recherche d’une vie moins puritaine ; ou encore la culpabilité de Proctor qui cherche à se faire pardonner son infidélité, tous les villageois se révèlent torturés et tourmentés.
Tourments du corps et de l’esprit donc qui sous l’emprise de l’irrationnel suffisent à entrainer tout le village dans une hystérie meurtrière et mortifère. Emmanuel Demarcy-Mota interroge avec force la complexité des motivations humaines aux prises avec leurs contradictions (mensonge/vérité) et la peur qui les gangrène.
Dans une lumière blanche sur un fondu de noir saisissant, les protagonistes évoluent entre des scènes oniriques ou réalistes, qui traduisent tour à tour une emprise maléfique et la crise collective qui fait rage, jusqu’à la scène finale du procès et sa parodie de justice.
Les 14 acteurs, dans un mouvement choral, sont tous remarquables. Ils nous entraînent au coeur de cette communauté qui voit chacun de ses membres se débattre avec ses mensonges, ses peurs, ses trahisons, et ses déchirements intérieurs.
Dans le rôle d’Abigail, Emilie Bouchez est bouleversante d’intensité entre son désir contrarié et une force noire malfaisante, tandis que Sarah Karbasnikoff (Elisabeth Proctor) se montre une résistante émouvante à l’adversité. Serge Maggiani (John Proctor) et Gérald Maillet (Parris) sont magnétiques d’incarnation où chacun affirme et revendique sa propre vérité.
Dates : du 8 septembre au 10 octobre 2020 Lieu : Espace Cardin (Paris)
Metteur en scène : Emmanuel Demarcy-Mota