©Nathalie Hervieux
L’actrice Emmanuelle Riva est décédée vendredi après-midi à l’âge de 89 ans. Elle avait notamment joué dans Hiroshima mon amour d’Alain Resnais en 1959 ou plus récemment dans Amour de Michael Haneke (2012) pour lequel elle avait remporté le César de la meilleure actrice.
On se souvient de son retour au théâtre en 2014 et dont nous republions notre critique du spectacle.
On célèbre cette année le centenaire de la naissance de Marguerite Duras, que la scène théâtrale met à l’honneur à travers différents spectacles.
L’œuvre de Duras est traversée par une nécessité de se raconter et de se dissimuler. Elle est à la fois inspirée par l’imagination et le témoignage d’une mémoire sélective, filtrée, remodelée par l’érosion du temps.
Dans son théâtre, autant que dans ses romans, l’écrivain ne cesse de retravailler les événements qui l’ont marqué et d’en réinventer les traumatismes.
La première pièce met en scène une employée de maison et un représentant de commerce désabusé par la vie qui se rencontrent dans un jardin public.
Ils dissertent sur leur condition et très vite transparait leur profonde solitude ainsi que leur conception opposée de la vie.
Exploitée dans son métier dont elle a horreur, elle cherche à tout pris à se marier en allant danser chaque semaine au bal espérant qu’un prétendant la remarquera. Le colporteur, lui, n’a plus d’espoir depuis longtemps mais revendique cette lucidité car elle lui confère une forme de liberté.
Clotilde Mollet est impressionnante de vérité dans l’expression d’une rancœur intériorisée et la croyance ardente d’un espoir toujours possible tandis que Didier Besace incarne avec justesse et fébrilité cet homme inaccompli et solitaire.
Deux destins immobiles suspendus dans l’attente d’un rapprochement impossible.
©Nathalie Hervieux
Avec « Savannah Bay », c’est Emmanuelle Riva qui, après avoir été l’héroïne d’Hiroshima mon amour, se glisse à nouveau dans un personnage durassien. Elle incarne Madeleine, une vieille dame qui fut actrice de théâtre, où entre souvenir et oubli car sa mémoire s’ensommeille, se remémore avec sa petite fille en quête d’identité (Anne Consigny vibrante), le suicide de son enfant dans la baie de Savannah, morte d’avoir trop aimé, au lendemain de son accouchement.
Texte éblouissant aux fulgurances de cendre où se questionnent la mort, l’amour impossible, le manque et que le voile abstrait de la mémoire dissolue recouvre de son mystère indicible : « La douleur des souvenirs ne sera jamais écrite, alors autant mourir ».
La mise en scène de Didier Bezace (scénographie de Jean Haas), orchestre avec un regard subtil et sensible ce dialogue musical entre les deux femmes qui s’apprivoisent puis se transforme peu à peu en un partage des voix du récit dans une reconnaissance de leur douleur infinie et mutuelle.
Prodigieuse incarnation d’Emmanuelle Riva dont l’accomplissement du jeu et sa résonance sont indissociables de ce voyage mental…