Éric Feldman : sourire pour ne pas se taire (derniers jours)

Éric Feldman : sourire pour ne pas se taire
Éric Feldman – photo DR

Éric Feldman : sourire pour ne pas se taire (derniers jours)

Dans « On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie », Éric Feldman ose parler d’un héritage terrible — la Shoah — avec une liberté désarmante. Là où le trauma se charge de solennité, lui choisit l’humour, le doute, la maladresse assumée. Pour un ton juste.

Éric Feldman part d’une histoire qu’il ne peut pas continuer d’ignorer : ses racines familiales, le silence d’après. Fils et neveu d’enfants cachés, il fait entendre ce qui, souvent, se tait à travers la mémoire qui dérange, qui vrille, la culpabilité de survivre, la transmission, la psychanalyse, le yoga (oui, le yoga) comme refuge improbable.

Feldman sait poser les mots qui pèsent — ceux du silence, de la peur, de la mémoire, de la culpabilité, de la disparition. On sent la chair sous les mots. Ce n’est pas seulement intellectuel, c’est incarné.

Car il ne joue pas un rôle, il ne fait pas semblant. Il parle de lui, de son père, de sa famille, et on l’observe assis, enraciné. Il est là devant nous immobile, même statique parfois, mais l’histoire, elle, se contorsionne, se soulève, désarçonne, provoque le mouvement.

Sur le fil 

On est saisi par cette sincérité nue, ce pas de côté – décalé – comme arme de survie, une sobriété scénique qui colle au sujet, et cette manière de faire circuler la mémoire dans le présent.

L’humour noir ici n’est pas un gadget : pas de blagues faciles, pas du rire pour évacuer. Non. Un humour grinçant, fragile, qui se glisse dans les fissures. Quand il imagine Hitler au yoga, ça ne fait pas vraiment rire, mais ça bouscule. Et ce rire nerveux, partagé, c’est exactement ce qui permet de tenir face à l’indicible.

La langue, elle, navigue entre mémoire, confession intime, psychanalyse, philosophie, introspection, blagues juives et anecdotes quotidiennes. Et étonnamment, ça ne casse pas le rythme : au contraire, ça montre que la mémoire de la Shoah ne vit pas seulement dans les livres d’Histoire, mais dans la cuisine familiale, dans les silences du salon, dans un cours de yoga. Et c’est cette proximité intime qui donne sa force universelle au récit.

Sans oublier la transmission : ce qui arrive à un fils, à une génération qui n’a pas vécu directement mais qui porte tout — les mots manquants, les silences, les traumatismes. Le spectacle réussit à rendre visible cette complexité — ce ne sont pas seulement les morts, mais les vivants qui eux aussi portent quelque chose.

Et puis, il y a ce final « Zog nit keynmol » (Ne dis jamais). Une chanson simple, portée par des générations avant lui, qui vient rappeler que la mémoire n’est pas un exercice de style, mais une résistance vivante. Là où la confession se délivre de l’intime et devient danse collective.

 Dates : du 6 septembre au 26 octobre 2025 – Lieu : Petit Saint-Martin (Paris)
Mise en scène : Olivier Veillon avec l’aide de Joël Pommerat

NOS NOTES ...
Originalité
Interprétation
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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