« Faust I & II » : le deal parfait de Bob Wilson avec le Diable
Dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville, le Théâtre du Châtelet présente la première mondiale de la nouvelle œuvre du Berliner Ensemble : Faust I & II, créée en avril 2015 à Berlin, sur la scène mythique fondée par Bertolt Brecht.
Le metteur en scène Bob Wilson dont nous avons chroniqué les spectacles a souvent collaboré avec cette troupe européenne emblématique de la scène allemande, et le Théâtre de la Ville les accueille depuis 2010.
Bob Wilson trouve dans le pacte entre Faust et le Diable, le grand classique de Goethe, un matériau idéal à sa vision du mythe faustien. Il le revisite d’une main de maître avec l’artiste rock Herbert Grönemeyer qui signe le livret et en délivre une version qui capte à foison la dimension allégorique, sarcastique, onirique et dionysiaque de l’œuvre. Du grand art !.
L’oeuvre emprunte son titre au nom d’un alchimiste du 16ème siècle, héros d’un conte populaire. Goethe a consacré une longue partie de sa vie à la réécriture de ce mythe aux accents fantastiques, qui met en scène l’une des grandes tentations de l’homme : passer un pacte avec le Diable, qui lui offrirait, en échange de son âme, l’amour éternel et la connaissance des secrets du monde.
[…] une version qui capte à foison la dimension dionysiaque de l’œuvre […]
C’est donc sur ce deal entre Dieu et le Diable, que s’ouvre Faust , l’une des pièces les plus célèbres du grand écrivain allemand.
L’histoire du Docteur Faust est celle d’un savant respectable qui voit sa vie bouleversée par la passion. Où tout se joue autour d’une rencontre inquiétante : celle de Faust, l’homme de raison, avec une créature irrationnelle, le Diable, qui apparaît sous le nom de Méphistophélès.
Bob Wilson s’empare avec un puissant geste de cette diablerie poétique […]
Ces deux personnages symbolisent la lutte entre le bien et le mal, l’enfer et le paradis, mais aussi l’opposition entre la pensée et l’action. Car, au-delà d’une réflexion philosophique sur la place de l’homme dans la Création, l’œuvre peut aussi se lire comme un roman initiatique plein de péripéties qui précipitent le savant dans l’action, et le conduiront « du Ciel au Monde et du Monde à l’Enfer ».
Bob Wilson trace le récit d’un Faust quadruple, qui se singularise, puis fusionne avec sa moitié diabolique.
A l’abri en fond de scène d’un à-plat lumineux et de décors abstraits propres au vocabulaire « wilsonien », le poème prend les allures d’un conte dionysiaque mené par le génial christopher nell, facétieux Méphisto qui finit par endiabler Heinrich Faust, son frère siamois, joué par quatre interprètes en première partie, puis par le seul Fabian stromberger dans la dernière.
Le tout orchestré dans un espace aux lignes géométriques lumineuses qui ouvre ou délimite la perspective et embrasse à merveille l’univers protéiforme faustien et goethéen.
Où ses personnages à la fois comédiens, danseurs, chanteurs et mimes – dont l’esthétique n’appartient qu’au grand Bob : visages peint en blanc, mouvements décomposés, images épurées, lumières sculptées, sons cauchemardesques – sont aux prises avec leurs doutes existentiels et cette frontière ténue entre les forces du bien et du mal.
D’une unité virtuose, la mise en scène aboutie de Bob Wilson s’empare avec un puissant geste de cette diablerie poétique aussi prodigue que récréative. Bravo !.
Dates : du 23 au 29 septembre 2016 l Lieu : Théâtre du Châtelet (Paris)
Metteur en scène : Bob Wilson