
« Faust » le deal parfait de Tobias Kratzer avec le diable !
L’opéra de Charles Gounod revisité par le metteur en scène allemand Tobias Kratzer est une réussite totale. On y retrouve le vieux Faust en quête de jeunesse éternelle, où celui-ci (le ténor français Benjamin Bernheim) en appelle à Satan (Christian Van Horn) car il n’en peut plus de devoir solliciter des call-girls pour des soirées tarifées. Il vend donc son âme au diable dans l’espoir de gagner l’amour d’une Marguerite (la soprano Angel Blue) qui danse ici en boîte de nuit ou se retrouve encore dans le métro parisien.
Le spectacle s’ouvre sur un Faust vieillissant et désabusé dans un grand appartement haussmannien. Méphistophélès et une horde de démons lui apparaissent et lui proposent de réaliser son vœu le plus cher, retrouver sa jeunesse. Faust pactise ainsi avec le Diable pour le meilleur et pour le pire !
Un pacte aux prises entre le bien et le mal
Ainsi rajeuni, Faust part conquérir le cœur de Marguerite, assisté par Méphisto qui lui donne tous les moyens de combler la jeune femme. Mais c’est sans compter sur la rivalité du jeune Siebel, lui aussi épris de Marguerite, et du frère de cette dernière, Valentin. Marguerite ne peut résister au pouvoir de Faust, mais découvre peu à peu qu’elle est également en train d’y perdre son âme…
Une vision qui fait écho à la relecture du Faust de Goethe par Charles Gounod, qui ancre les raisons de la vente de son âme au diable dans la recherche de l’amour et de la jeunesse plutôt que dans la volonté de connaissance dans l’esprit faustien allemand.
Inventive et cinématographique, la mise en scène de Tobias Kratzer se déploie à merveille sur la scène et jusque dans les airs ! avec des effets spéciaux, de la vidéo en direct et des décors somptueux qui servent d’écrans géants. Autant de procédés qui sont au service de la dramaturgie sans jamais dénaturer le sens de l’œuvre qui se trouve transposer dans le Paris d’aujourd’hui, tout autant réaliste que fantasmé.
Digne d’une série télévisée, le spectateur passe ainsi de surprise en surprise dans un récit faustien cohérent de bout en bout, aux personnages bien campés, où l’on passe allègrement du centre haussmannien cossu à la dureté d’une cité bétonnée qui voit les affres de la passion se confronter au danger.
Cet opus revisité offre ainsi de belles inventions comme celles notamment qui permettent de montrer les pouvoirs de Méphisto (lorsqu’il vole avec Faust dans le ciel de Paris), de reconstituer des décors inattendus (une rame de métro, une boîte de nuit, un cabinet de gynécologie), ou encore de créer, dans un imaginaire épique tout droit sorti d’un western, cette séquence de Faust et Méphistophélès qui traversent au galop les quartiers de Paris sur des montures volées à deux gendarmettes de la Garde républicaine.
Le plateau vocal est quant à lui idéal emmené par le ténor Benjamin Bernheim (Faust) dont la voix claire et chaude se pare des soubresauts exaltés et emportés de son personnage, aux prises entre le bien et le mal. Le baryton Christian Van Horn, en Méphistophélès servi par six démons qui exécutent ses méfaits, n’est pas en reste où son timbre caverneux et sa stature volubile en font un personnage aussi intriguant que déterminé. Quant à Angel Blue, la soprano, dans le rôle de marguerite, sa voix au grain charpenté et mélodique porte à fleur de peau les tourments de la passion maudite. Bravo !
Dates : du 28 juin au 13 juillet 2022 Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Metteur en scène : Tobias Kratzer