Ma Folle Otarie au Lucernaire entre Prévert et Jarry
Ma Folle Otarie plonge un personnage anonyme dans un tumulte intérieur sans fond. Le monologue défile à la vitesse d’une parole décousue et dénuée de toute logique. Entre psychose et paranoïa, poésie et non-sens, Pierre Notte place son héros dans un univers entre Jarry et Prévert, non loin de Kafka et tout près des Monty Pythons. Le comédien Brice Hillairet ne se ménage pas et emporte la foule dans la douce folie de son auteur en compagnie d’une otarie qu’on aime à croire métaphorique voire cathartique.
Un auteur omniprésent
Pierre Notte hante les scènes parisiennes de manière quasi permanente. Noce déjà au Lucernaire, L’histoire d’une femme au Théâtre de Poche Montparnasse et tant d’autres, les pièces défilent avec ce même rythme de paroles épileptiques exprimées par des personnages tapis dans l’urgence et l’inconfort. La prise de conscience le mélange à la crise existentielle pour des moments de théâtre perturbants, avec un vrai humour noir. Ma Folle Otarie ne déroge pas à la règle avec un héros anonyme qui doit tout perdre pour se réinventer. Kafka avait transformé son héros en scarabée pour figurer le drame de l’aliénation. L’auteur imagine ici un personnage lisse et transparent, désireux de restéer confiné dans son confort tranquille. Mais le sort s’acharne et il s’en explique aux spectateurs. Chacune de ses rencontres le fait sombrer un peu plus dans une oubliette métaphysique d’où il ne parvient plus à s’extraire. Les choix se rétreignent et le comédien emmène avec lui l’audience, générant aussi bien les rires jaunes que le questionnement. Ce voyage théâtral est retors, d’aucuns diront même hardcore, la narration se perd entre le burlesque et le tragique, certains en rient pendant que d’autres méditent.
Une pièce tranchée
Le mini-entracte marque un tournant. La chute est freinée et le héros pourra ressortir la tête de la vase par l’entremise d’une otarie qui a tout de la main de dieu. Récupéré, sauvé, envolé, le héros peut envisager une suite à son existence sans fondements, son train arrière protubérant pourra cesser de le tourmenter comme un noeud gordien psychologique . La pièce ne fait pas dans la facilité et il faut tout de même se concentrer pour ne pas perdre le fil de la transmutation, quand le personnage cesse d’être neutre pour se réincarner en l’humain qu’il avait semble-t-il cessé d’être. L’heure de spectacle passe dans un faux rythme, entre le grand huit et les autos tamponneuses pour bousculer et alerter le spectateur. Ce héros faussement neutre peut être chacun de nous, perdu dans nos circonvolutions hasardeuses sans fondements. Il faut se réveiller pour exister, une otarie n’est peut-être pas loin pour nous aider à prendre pied sur le parapet et prendre notre envol.
Cette Folle Otarie est un spectacle qui divisera certainement mais ne pourra pas laisser indifférent. Ni un divertissement, ni une farce, la pièce invoque l’esprit caustique d’un Prévert ou d’un Jarry pour tenter de s’introduire dans l’esprit de chacun et éveiller la conscience. Ce n’est jamais inutile!
Dates : du 10 mai au 24 juin 2017, du mardi au samedi à 19h
Lieu : Le Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Pierre Notte
Avec : Brice Hillairet