Isabelle Huppert, fascinante dans « La Ménagerie de verre »

Isabelle Huppert, fascinante dans "La Ménagerie de verre"
© Jan Versweyveld

Isabelle Huppert, fascinante dans « La Ménagerie de verre »

La ménagerie de verre – premier et immense succès de Tennessee Williams, écrit en 1944 – s’inspire de la vie de l’auteur américain. Amanda incarne la mère de l’auteur (Edwina) ; Laura, sa grande sœur Rose atteinte de troubles mentaux et physiques. Diagnostiquée schizophrène, elle subira une lobotomie. Tom, son petit frère, est le narrateur de l’histoire et le miroir de l’auteur.

Le père, lui, est absent. Il a abandonné les siens du jour au lendemain mais reste au centre de cette fragile cellule familiale. Sur les murs asphyxiants de leur maison – une métaphore du gouffre de l’inconscient –, son visage, jeune et souriant, est à plusieurs reprises esquissé, empreintes toujours vives d’un passé irréparable.

Dans un voyage intérieur, Tom se souvient… et retrouve, dans l’appartement de sa jeunesse, Amanda sa mère, qui ressasse hystériquement ses rêves déchus. Et puis Laura, sa sœur si fragile et si inadaptée au réel qu’elle s’enferme dans un univers imaginaire, sa collection d’animaux en verre. Surtout, Tom revit cette soirée au cours de laquelle la vie a failli basculer, le temps d’une parenthèse enchantée…

Présenter la vérité sous l’apparence de l’illusion tel est le fil conducteur de l’intrigue réfracté par le souvenir. Et dans cette mémoire, il n’y a pas seulement les souvenirs de Tom remémorés mais ceux aussi d’Amanda qui rêve du Sud, ou ceux de Jim, qui se rappelle ses succès au lycée six ans plus tôt.

Un espace temps suspendu où se réinvente la vie et s’échafaudent les rêves impossibles – Amanda enjolive son passé glorieux, Tom rêve d’échappées lointaines, tandis que la timide Laura se réfugie dans la mise en scène d’une ménagerie d’animaux en verre.

Tennessee Williams braque ici son projecteur sur des destins brisés. Il écrit non seulement sur la mémoire mais aussi sur la fragilité. Car les Wingfield sont pleins de doutes, de cicatrices, de secrets. Chacun des trois se retire dans son propre monde. Trois solitudes à jamais enfermées dans leurs obsessions et trois destins réunis dans leur inaptitude à la vie. Où Tom cherche à s’échapper. Il passe son temps à fuir, mais il fini toujours par revenir. Et se tient toujours un peu à la frontière entre deux mondes, l’intérieur et l’extérieur.

Ce texte terriblement émouvant décrit une situation à la fois universelle (la dynamique d’une famille dysfonctionnelle) et ancrée dans l’histoire : l’Amérique de la grande dépression avec son contexte de crise qui reste d’actualité, lequel apparaît en filigrane alimentant le pessimisme des personnages et les conflits qui les opposent.

Un drame en clair-obscur

La mère (Isabelle Huppert), fantasque, autoritaire, possessive, n’a qu’une obsession : trouver un bon parti à sa fille. La fiction dure le temps d’une soirée. Un évènement qui tourne au fiasco où se déclarent les non-dits, les désarrois intimes, les souffrances tues, les désirs de fuite.

La mise en scène brillante d’Ivo van Hove compose à merveille un clair-obscur qui traduit l’intériorité des personnages et son abîme à la fois âpre et fantasmagorique. Une successions de précipités où se dévoilent jusqu’au sublime, des personnages vulnérables et toujours sur le fil, à travers un univers théâtral poétique, intimiste, presqu’impressionniste, qui échappe à la dureté du pur réalisme.

Éclairés à la seule lueur d’une bougie et dans une scène dansée mémorable, Laura et Jim sont les instigateurs d’une parenthèse magique. Car pour la première fois, Laura se livre et se libère du carcan maternel.

Isabelle Huppert, en robe de jeune fille, excelle en femme enfant irréductible et combattive. Elle irradie la scène d’un jeu d’une infinie précision aux maintes variations où elle donne tout. Entre emportement, abattement, pleurs, ressaisissement, jusqu’à cette scène finale où elle apprend la déconvenue sentimentale de sa fille dans un jeu de miroir aussi introspectif que vertigineux. Elle est phénoménale. Multiples facettes d’une actrice absolue.

Face à elle, Antoine Reinartz (le comédien remplace Nahuel Pérez Biscayart dans le rôle de Tom), Justine Bachelet et Cyril Gueï sont aussi magnifiques. Bravo !

Dates : 25 novembre au 22 décembre 2022 – Lieu : Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris)
Mise en scène : Ivo van Hove

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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