« La Jalousie » : le vertige bourgeois selon Michel Fau
Il y a chez Michel Fau un goût rare, presque aristocratique, pour la cruauté polie. Avec « La Jalousie » de Sacha Guitry, qu’il met en scène et interprète à la Michodière, il ne ressuscite pas le boulevard — il le transfigure. Là où d’autres n’auraient vu qu’un vaudeville poudré, Fau découvre une tragédie miniature, sertie dans un écrin d’or et de satin, où chaque sourire cache un gouffre.
Sur scène, tout est beau, trop beau : les dorures, les étoffes, la diction au cordeau. Un décor de rêve où le doute s’invite comme un parfum entêtant. Fau, impeccable d’ironie glacée, taille dans le texte comme un chirurgien du soupçon : chaque réplique devient une arme blanche. Gwendoline Hamon, en épouse faussement tranquille, oppose une grâce nerveuse à son mari soupçonneur ; ensemble, ils dansent un pas de deux d’une cruauté tendre.
Car sous cette esthétique bourgeoise, on sent sourdre le malaise. Fau compose une atmosphère d’une précision troublante — comme si chaque coussin, chaque lueur, chaque ombre participait du mensonge. La beauté, ici, devient arme du crime. L’œil se perd dans les reflets, et le doute s’y installe comme un hôte invisible.
Michel Fau, magicien de l’ambiguïté
« La jalousie » n’est plus une crise conjugale : c’est un vertige bourgeois d’ambiguïté. Fau tire de Guitry tout ce qu’il a de plus actuel — la vanité, la peur, la comédie du couple.
Dans le rôle d’Albert Blondel, le mari rongé par le soupçon, Fau est magistral de retenue décalée. Il avance comme un chat dans une porcelaine d’émotions. Sa diction, tout en dentelle acérée, cisèle chaque mot comme une note de clavecin. On sent chez lui le plaisir du texte — mais aussi la peur de s’y brûler.
Ce mari jaloux n’est pas une caricature : c’est un homme qui tombe amoureux de son propre doute. Le comédien le joue avec une précision presque musicale : un trémolo dans la voix, un battement dans le regard, un rire qui s’étouffe trop vite. On rit, bien sûr — mais d’un rire inquiet, celui qu’on repousse quand la vérité nous frôle.
Face à lui, Gwendoline Hamon compose une Marthe d’une intelligence séductrice. Sa douceur n’est jamais soumission ; sa grâce, jamais passive. On croit voir la femme « innocente » de Guitry, puis soudain, une inflexion du regard, un léger sourire, et le spectateur doute à son tour. Hamon ne joue pas la victime du soupçon : elle en devient le miroir, la réplique subtile.
Elle incarne, avec une ironie feutrée, cette éternelle question du théâtre et du cœur : que vaut une vérité qu’on ne croit plus ? Alexis Moncorgé, impeccable de charme indolent, prête au rôle du confident un parfum de légèreté fausse : on devine que son rire n’est qu’un masque. Et Geneviève Casile (impériale), en observatrice avisée, donne à la pièce sa profondeur morale : la sagesse du témoin réconciliateur.
Fau a ce talent du détournement : il garde la forme du boulevard — les portes, les apartés, la galanterie — mais en inverse la gravité. Chaque tirade de Guitry, sous sa brillance, devient un échantillon de la folie ordinaire.
Le doute n’est pas ici une crise domestique : c’est une expérience de laboratoire. Le mari observe, interprète, déduit — comme un savant fou devant son microscope. Et la mise en scène, d’une fluidité rigoureuse, épouse ce mouvement : tout est chorégraphié, au millimètre, comme une danse des nerfs.
Esthétiquement, le spectacle frôle la perfection. Les costumes de David Belugou évoquent une élégance outrancière ; les lumières de Joël Fabing sculptent les visages comme des bustes d’albâtre. Chez Fau, l’œil est toujours aussi savant que l’oreille. On songe à un théâtre total, où chaque détail — un pli de robe, un éclat de voix — devient signifiant. Cette obsession du beau n’a rien d’ornemental : elle révèle le poison sous le vernis. Le sublime, chez Fau, n’est jamais gratuit ; il est amoral.
Fau ne modernise pas Guitry ; il le révèle. Il entend dans ses phrases, souvent jugées frivoles, une musique grave : celle de l’orgueil, de la peur et de la solitude. Et en ce sens, Fau et Guitry font la paire : même goût du masque, même fascination pour la vérité travestie, même dédain pour la vulgarité du pathos.
À la fin, quand tout vacille, on réalise que la jalousie n’est pas seulement un thème : c’est une satire sociale. Fau en fait un art du tremblement. Le spectateur sort de la salle un peu grisé, comme après un parfum trop fort. Il a ri, oui — mais son rire laisse un sillage amer. Car « La Jalousie » version Michel Fau, c’est du cristal fendu : brillant, dangereux et irrésistible.
Dates : Depuis le 16 octobre 2025 – Lieu : Théâtre de la Michodière (Paris)
Mise en scène : Michel Fau

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