Joseph Drouet, phénix dans « Le Marteau et la Faucille » 

Joseph Drouet, phénix dans "Le Marteau et la Faucille"
Joseph Drouet ©Simon Gosselin

Joseph Drouet, phénix dans « Le Marteau et la Faucille »

Quand un metteur en scène surdoué, amateur de défis théâtraux découvre un auteur visionnaire, on obtient des spectacles hors norme. Julien Gosselin, scénographe et metteur en scène, puise son inspiration dans la littérature contemporaine qui raconte, selon lui, tout ce qui saborde notre civilisation.

En 2013, à tout juste 25 ans, il adaptait sur scène Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq et faisait sensation à Avignon puis au théâtre de l’Odéon. En 2018, toujours à Avignon, le dramaturge s’emparait de trois romans de l’auteur américain Don DeLillo : Joueurs, Mao II et Les noms, un marathon de neuf heures dont a été extrait « Le marteau et la faucille », un solo d’une heure qu’il reprend aujourd’hui.

« Le Marteau et la Faucille » raconte l’histoire d’un homme, Jerold Bradway, dont nous comprenons qu’il a été trader dans une autre vie, et qui se retrouve aujourd’hui en prison, un camp aux contours flous, surplombant l’autoroute, passant d’une salle TV au terrain de football des détenus, tous comme lui puissants financiers ayant fait fortune dans les hedge funds ou marchands d’art ayant détourné des milliards de dollars. Tous sont là, aux prises avec leur absolue solitude, rendus à la quintessence de leur condition humaine, sans plus de pouvoir que celui d’observer les paysages alentours et se remémorer leurs vies d’avant, leurs smartphones déconnectés, leurs pères partis et ces toiles de maître dont ils couvraient leurs murs.

Ecrit en réaction à la crise financière de 2008, « Le Marteau et la faucille » pointe ses délinquants en cols blancs qui ne sont que les avatars d’un monde parfaitement amoral et hautement criminogène. C’est là toute la force de la démonstration, qui cite à propos « Le Marteau et la Faucille » en hommage à tous les travailleurs « niqués » autant qu’aux élites laminées par le système.

Une performance d’acteur

Baigné dans une oppressante lumière rouge, un homme, seul face à son large micro, nous relate donc son quotidien et celui de ses co-détenus, enfermés dans un fictif camp de redressement pour anciens financiers, désignés comme coupables de la crise économique de 2008. Un état des lieux ainsi qu’une introspection sensible qui dressent les torts d’une société obsédée par l’argent et le profit, mais qui est sur le point de s’effondrer.

Joseph Drouet interprète avec une intensité inouïe ce personnage confronté à la vacuité de nos sociétés contemporaines hors-sol. « Peut-être n’étions-nous que des tonnes de viande conditionnée, de la chair entassée et divisée en box », réalise-t-il alors que le programme télévisé qui défile dans la salle commune n’en finit pas de comptabiliser les pays en état de mort économique et d’énumérer les symptômes de la faillite.

Dans un jeu en perpétuel mouvement car l’acteur est filmé en même temps sur un grand écran où les expressions multiples de son visage nous renvoie l’image d’un homme brisé, bourré de tics, tordant ses mains, et dont la parole hallucinée porte celle d’un monde hors de contrôle et menaçant.

Modifiant sa voix selon qu’il reproduise les propos d’un marchand d’art frauduleux qui partage sa cellule ou de sa fille qui passe à la télé, sous un fond d’accords électro qui participent à la dramaturgie, il incarne ce trauma du monde et réceptacle des névroses et peurs paniques de l’homme moderne. Bravo !

Dates : du 26 au 28 juillet 2022 : Théâtre Paris-Villette
Metteur en scène : Julien Gosselin

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu de l'acteur
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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