La Mouette d’après Anton Tchekhov sous le regard percutant de Cyril Teste, en tournée

La Mouette d'après Anton Tchekhov sous le regard percutant de Cyril Teste
La Mouette, mise en scène Cyril Teste – © Simon Gosselin

La Mouette d’après Anton Tchekhov sous le regard percutant de Cyril Teste, en tournée

La Mouette, classique du répertoire russe, est aujourd’hui revisitée par Cyril Teste et son collectif MxM.

On retrouve ici le dispositif cinématographique cher au fondateur du collectif : les acteurs sur scène et/ou en coulisses sont filmés en plan séquence. La vidéo projetée en direct sur grand écran vient augmenter l’espace imaginaire du plateau et raconter le hors-champ théâtral. Un procédé nullement artificiel mais qui fait partie intégrante de la dramaturgie, cristallisant l’envers du miroir entre espace réel et projection/fiction et son exploration introspective et mémorielle.

Le plateau est ici organisé comme un atelier où se font et se défont les formes artistiques au grès d’une perspective entre champ et hors-champ. Tandis que sur de grandes toiles amovibles, des images filmées en direct par les comédiens sont projetées.

En revisitant le chef-d’œuvre d’Anton Tchekhov, Cyril Teste compose ici une œuvre où se répondent fragments théâtraux et cinématographiques pour une relecture percutante. Associée à des éléments d’une nouvelle de Tchekhov intitulée “Une Banale Histoire”, sa Mouette est une plongée dans l’intime et des âmes torturées.

Celles notamment de Nina, une jeune fille qui rêve d’être actrice mais dont la vocation sera détruite par une trahison amoureuse, ou celles de Constantin, épris de Nina qui en regarde un autre. Constantin est jeune auteur épris d’absolu en quête de reconnaissance et de l’amour d’Irina, sa mère, comédienne célèbre, qui le méprise ouvertement et n’a d’yeux que pour l’écrivain en vogue, Trigorine, son amant. Une relation fils/mère irrésolue qui aurait à voir avec la tragédie d’Œdipe et dont les contours qui irriguent toute l’intrigue sont aux prises avec des destins contrariés et opposés.

Il y a Trigorine qui représente un art conventionnel, souvent auto-satisfait, un art reconnu mais qui manque cruellement de radicalité, de liberté et sans doute de passion, à l’inverse de celui de Constantin qui se cherche, ne connaissant pas les lois, les règles de la scène, du théâtre, de la narration, mais qui veut révolutionner le théâtre, témoigner d’un engagement, au risque d’être ridicule, superficiel et dérisoire dans son art.

Jeux de miroir vertigineux

Une rivalité qui embrasse alors une expérience humaine avec ses non-dits et ses conflits intérieurs, où le spectacle donné par Constantin devant ses proches qui se transforme en un manifeste pour un théâtre avant-gardiste, est fustigé par sa mère. Et si les liens intimes et la condition d’artiste sont mis à mal, l’amour y est aussi contrarié : l’instituteur aime Macha qui aime Konstantin qui aime Nina qui aime Trigorine, lequel fait semblant d’aimer Arkadina.

Entre frustrations et acte manqués, chacun des protagonistes est suspendu à un flot continu d’espoirs et de renoncements alors que gronde au plus profond d’eux-mêmes un désir indicible d’en découdre.

Portée par la traduction enlevée d’Olivier Cadiot, “La Mouette” résonne avec force dans l’ici et maintenant où les protagonistes se confrontent dans un va-et-vient constant à leurs tourments. Dans cette maison, près d’un lac, on entre, on sort, on se croise, on se fuit. Aller-retour permanent des hommes, des femmes, et des sentiments, où tout est passion, tout est théâtre.

A l’abri d’une grammaire sophistiquée entre jeu sur scène et projection vidéo (tournée et diffusée en simultanée sur le plateau, laissant voir également, grâce à la caméra qui se déplace, les coulisses et les hors-champs), le dispositif capte sous différents angles l’intériorité et la confusion des sentiments et articule de concert plusieurs temps : présent représenté, présent filmé, différents temps passés, plusieurs lieux.

Sous l’œil introspectif de la caméra (gros plans, plans large, champ et hors champ), au plus près des corps, des visages, des expressions, des attitudes, s’explorent sans relâche les tréfonds de l’âme où s’annihilent les frontières troubles entre le conscient et l’inconscient, le réel et la fiction.

Servie par une distribution de haut vol où chacun des comédiens dessine sa partition tout en s’accordant dans un élan qui circule entre les êtres et la justesse du geste du metteur en scène/collectif, cette « Mouette » brûle de toute sa dimension symbolique et sacrificielle dont chaque personnage incarne, corps et âme, la blessure. Bravo !

Dates et lieux de la tournée :
> 17-18 novembre 2022 Le Vellein, scènes de la CAPI, Villefontaine
> 24-25 novembre 2022 Théâtre des Salins, Scène nationale de Martigues
> 8-15 décembre 2022 Lieu unique, Centre de culture contemporaine de Nantes en coréalisation avec Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique
> 10-13 janvier 2023 Théâtre National Wallonie-Bruxelles
> 18-20 janvier 2023 Théâtre de l’Union CDN Limoges-Limousin
> 25-27 janvier 2023 Comédie de Valence, CDN Drôme Ardèche
> 8-9 février 2023 Théâtre Liberté, Scène nationale de Toulon
> 8-10 mars 2023 MC2: Grenoble
> 25 mars 2023 Le Carré, Sainte-Maxime
> 30-31 mars 2023 Festival Canal Connect, Teatros del Canal, Madrid
> 5-6 avril 2023 Le Trident, Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin
> 26 avril-5 mai 2023 Théâtre Vidy – Lausanne    

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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1 COMMENTAIRE

  1. L’équipe des comédiens et des responsables de la vidéo a non seulement renouvelé le théâtre véritable, mais réalisé une démonstration éblouissante de la volonté de tous et de toutes de parvenir à exprimer des passions pures et sincères, s’éloignant quelque peu de la dimension presque vaudevillesque de certaines lectures de la pièce de Tchekh.ov. Le mélange du rêve et de la réalité, la musique planante, la violence des scènes intimes filmées en gros plan. m’ont plutôt fait penser à « Mulholand Drive », où l’on retrouve le thème de l’actrice confrontée à l’injustice de son destin.

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