La nuit se lève, les angoisses de Elisabeth Quin (Grasset)
Elisabeth Quin, journaliste et auteur, nous livre une part importante de sa vie avec La nuit se lève. Elle nous raconte ce qu’elle vit depuis qu’elle a appris qu’elle souffrait d’un double glaucome : diagnostic glaçant, et terrible maladie héréditaire… La peur de tomber aveugle.
L’angoisse du futur
Si vous avez cette maladie, sans doute n’apprendrez-vous pas grand-chose avec ce livre. Par contre, si vous avez la chance d’avoir une bonne vue, vous vous sentirez bien chanceux ! Tout le monde sait que le glaucome peut déboucher sur la cécité. 1,7 millions souffrent de troubles de la vision. Et 200 000 personnes sont aveugles en France. Des chiffres qui font mal.
Dans son livre, Elisabeth Quin nous parle de son combat, de son cheminement mais elle nous livre aussi de nombreux témoignages de personnes ayant souffert de la vision, Monet, Sophie Massieu, John Hull, Aldous Huxley… Des personnes dont on connaît si peu de choses… Elle réalise une sorte de compagnonnage avec des gens malades. Elle dit avoir découvert la concentration, la compensation, et un tout autre regard sur son existence. La beauté. A contempler, encore et encore. Le regard change. La vue baisse et le regard devient intense.
Un combat, des rencontres
Elisabeth Quin raconte son parcours médical en France. Pas facile. Elle dit avoir souvent été maltraitée par les médecins, « par machisme, habitude ou perversité » p.116
Pas toujours d’accord les médecins entre eux. On opère, on n’opère pas. Laser ou pas laser ? Qui croire ? Que faire ? Vous saurez tout sur les différentes techniques de soins du glaucome. Et leurs conséquences irréversibles.
Elisabeth Quin a finalement foi dans l’invisible. Elle n’hésite pas à contacter toutes sortes de personnes capables de lui apporter un certain bien-être. Elle part même à Lisieux en espérant un miracle. Espérance et autodérision. Tout en sachant qu’il ne se passera rien, elle y va à Lisieux et y retournera, toujours avec un semblant d’espoir.
Elle part à la rencontre d’un chaman, Mahamane. Elle est prête à tout. Ce chaman est aveugle, vieux, et appréhende les autres différemment. Ecoute et regard exceptionnels de cet homme hors du commun « qui voit avec ses mains ». P.65.
Elisabeth Quin se bat, et part à la conquête de nouveaux domaines. La compensation en fait partie. Les autres sens compensent la baisse de la vision. Une révélation !
Ce livre, La nuit se lève, a été un cheminement pour Elisabeth Quin . Le choix d’avancer vers sa propre liberté intérieure… Ce glaucome, au final, une chance ?
Doit-on haïr sa maladie ? Je n’aime pas ce glaucome qui menace ma vue. [•••] Il détermine mon existence et me handicape mais il n’est rien, rien qu’un dérèglement. P.139
“La vue va de soi, jusqu’au jour où quelque chose se détraque dans ce petit cosmos conjonctif et moléculaire de sept grammes, objet parfait et miraculeux, nécessitant si peu d’entretien qu’on ne pense jamais à lui…”
Elisabeth Quin découvre que son œil est malade et qu’un glaucome altère, pollue, opacifie tout ce qu’elle regarde. Elle risque de perdre la vue. Alors commence le combat contre l’angoisse et la maladie, nuits froissées, peur de l’aube, fragilité de cet œil soudain osculté, trempé de collyres, dilaté, examiné, observateur observé…
Elisabeth Quin raconte, avec une sincérité magnifique, cette traversée dont nul ne voudrait – maladie, destin ou don, comment savoir, qui change son quotidien en secret, et le secret en vie quotidienne. Nous l’accompagnons chez les médecins – et c’est Molière, de drôlerie, d’incertitudes, de sciences fausses ou vraies, avec de rares grands humains. Nous la suivons chez les marabouts, qui veulent la protéger de notre regard. Nous découvrons ses lectures, de Lusseyran à Hervé Guibert et Jim Harrison. Et comme elle, nous travaillons nos sens : fermer les yeux sous la douche ; marcher dans la forêt, la main dans celle de son compagnon ; écouter les oiseaux ; penser aux paysages ; écouter la nuit ; s’imaginer sans miroir, vue et malvoyante, prisonnière mais au-delà…
La nuit se lève est ce récit, d’une beauté sublime, drôle à chaque page, terrifiant parfois, métaphysique malgré lui, sensuel, vivace – et contre toute attente, une marche vers la sagesse.