« La vie est une fête » et quelle fête !!! avec Les Chiens de Navarre, à Antibes
Depuis quinze ans, l’insolente compagnie Les Chiens de Navarre use habilement du rire pour explorer les travers de notre société. Le metteur en scène Jean-Christophe Meurisse n’a pas son pareil pour transformer des faits qui l’indignent en satires expiatoires. Le collectif n’épargne personne et n’a cure du politiquement correct.
Après avoir ausculté le thème de l’identité nationale dans ”Jusque dans vos bras”, après avoir assisté à un Noël en famille qui tourne au cauchemar dans ”Tout le monde ne peut pas être orphelin”, Les Chiens de Navarre se demandent désormais comment les « micro folies » de notre siècle ne nous rendent pas fous.
Car tout va trop vite et plutôt mal. Pris dans la marche très inquiétante du monde, chacun d’entre nous est au bord du gouffre. C’est l’hypothèse de La vie est une fête : l’hôpital psychiatrique donc comme passage obligé, là où explose sans vergogne la réalité du monde et son humanité pour mieux en révéler ses turpitudes et son esprit de résistance. Un pur régal !
À travers des situations universellement évocatrices, mettant en œuvre la technique désormais éprouvée d’une écriture guidée par des improvisations au plateau, les Chiens de Navarre partent d’un constat qu’ils étirent et transforment en séquences burlesques.
Tout commence déjà avant le début de la représentation. En prenant place sur les gradins, les spectateurs (députés anonymes) sont d’emblée immergés dans la cacophonie d’une séance de l’Assemblée Nationale. Sous les incessants rappels à l’ordre d’un Président juché sur son perchoir, se succèdent les discours sur le bienfondé ou non de la proposition du jour : la retraite à 72 ans ! Où mascarade, pugiltat, postures et effets de manche sont à l’œuvre.
Et de la folie, il y en a, dans ce théâtre indiscipliné, indomptable, irrévérencieux. De la caricature aussi, nourrie d’une observation incisive qui fait mouche sans sous-estimer le pouvoir de dénonciation qu’elle charrie. Nous voici donc face à un instantané d’humanité où se croisent et se percutent toutes les ambiguïtés, toutes les absurdités, toutes les dérives politiques, intimes, et sociales, propices à l’explosion.
Société malade mais vivante
On observe un politicien revenu sur la scène qui profère des propos de plus en plus extrémistes et qui était déjà intervenu au début en séance parlementaire. Il est amené manu militari au service des urgence psychiatrique où un médecin stoïque l’écoute avant de le stopper net, dans un geste aussi radical que libérateur.
Nous sommes alors ensuite propulsés au cœur d’une salle commune de soignants qui s’occupent davantage des cagnottes entre collègues et du distributeur en panne que des patients sous leur responsabilité.
Aux détours de ces couloirs, on pourra croiser une quadragénaire complexée, traumatisée par sa gynéco et son chirurgien esthétique, une fan obsessionnelle de Christophe en dépression depuis la mort du chanteur, le fondateur d’une entreprise de tech évincé de sa propre boîte par deux jeunes startuppeurs en hoverboard à travers un discours managérial bourré d’anglicismes et aussi cynique que fumeux.
Un sas d’humanité
Autant de symptômes d’une société malade d’elle-même et qui fait alors basculer la représentation dans un univers surréaliste et explosif avec une galerie de personnages prêts à en découdre. On croise alors un monstre sanguinaire en slip, un flic et un manifestant tout aussi enragés ou encore le Joker de Joaquin Phoenix dont le charisme n’est plus à démontrer !
Une embardée donc aussi cathartique que corrosive sur la folie de notre époque en pleine perdition que le collectif de haut vol constitué de Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch porte à son paroxysme. On assiste aussi à une humanité traquée mais révélée dans toute sa vulnérabilité et sa quête de sens.
La mise en scène cadrée et rythmée de Jean-Christophe Meurisse accompagne de concert cette embardée à l’énergie jusqu’auboutiste et galvanisante. Le tout illustré d’une bande-son aux petits oignons dans le pur esprit de la satire et de son œuvre salutaire.
Date : Le 8 novembre 2024 – Lieu : Anthéa Antipolis Théâtre (Antibes)
Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse