« L’Affaire Makropoulos » convoque Hollywood à l’Opéra Bastille
Janáček est à deux ans de la mort lorsqu’il compose « L’Affaire Makropoulos ». Le portrait cruel d’une femme qui a bu l’élixir d’immortalité plus de 300 ans auparavant et qui s’abîme sans relâche dans ce paradis artificiel.
Car qu’est-ce que vivre lorsque l’on a déjà tout vécu, tout ressenti, tout appris, lorsque le temps et la répétition émoussent toute émotion, tout désir, tout envie et qu’il ne reste que lassitude et ennui ?
Emilia Marty est « froide comme une morte » dit son dernier amant. Tout juste éprouve-elle encore lorsque surgit le vieux Hank, qu’elle aima cinquante ans auparavant, ou encore lorsqu’elle évoque le Baron Ferdinand Josef, qui fut le grand amour de sa trop longue vie : ces deux moments sont les sommets lyriques de l’opéra. Mais il y a aussi la jeune chanteuse débutante Krista, si douée, si passionnée, et c’est peut-être grâce à elle qu’Emilia peut enfin mourir et à travers elle assouvir sa quête d’éternité.
Et à quoi bon vivre, si l’on sait que l’on ne mourra jamais ? là où l’acceptation de la mort fait partie de la vie afin d’en mesurer tout son sens.
Une mise en scène grandiose
Cette réflexion sur l’immortalité, la lassitude et le cynisme qui l’accompagnent, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski l’a faite sienne en multipliant les mises en abyme et références à l’âge d’or du cinéma hollywoodien, qui a fabriqué nombre d’icônes éternelles : Marilyn Monroe, Gloria Swanson, Rita Hayworth et King Kong.
Sa mise en scène grandiose est hantée par le destin en noir et blanc de Marilyn : la jeunesse éternelle, la femme adulée, la femme sacrifiée sur l’autel de la gloire et retrouvée morte d’une overdose de barbiturique.
Il fait d’Emilia Marty le clone de Marylin Monroe avec sa fameuse robe qui se soulève sous l’effet du courant d’air iconique et convoque sur scène la figure gargantuesque de King Kong qui prend dans sa main Emilia, à l’instar du film de 1933, et la protège des hommes qui l’entourent, tous attirés par ses charmes.
La belle et la bête donc où les rôles s’inversent et transfigurent la folie humaine aux prises avec sa perdition. La scène devient une luxueuse salle de cinéma où défilent sur grand écran des plans de Gloria Swanson dansant pour l’éternité dans Sunset Boulevard de Billy Wilder et d’images d’actualité de la descente aux enfers de Marilyn Monroe. On assiste alors à la grandeur et aux décadences d’Hollywood.
Le metteur en scène crée avec la décoratrice Małgorzata Szczęśniak, un espace éclaté, d’une grande maitrise formelle, propice au découpage cinématographique. Où les décors, les lumières, la vidéo et les costumes convoquent à la perfection des images ultra-réalistes, en projection totale avec le livret et son action.
La partition électrisante se déploie magnifiquement sous la direction de Susanna Mälkki. Elle est servie par une distribution sans faille emmenée par la soprano Karita Mattila qui excelle dans le rôle titre d’Emilia Marty, empreint d’une mélancolie aussi fiévreuse que fébrile. Bravo !
Dates : du 5 au 17 octobre – Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Metteur en scène : Krzysztof Warlikowski