Le documentaire La Cordillère des songes s’ouvre sur un constat quasi philosophique. La Cordillère des Andes fascine depuis la nuit des temps. Tout le monde la voit, certains tentent d’en gravir les parois, mais peu la connaissent vraiment. Elle devient un témoin silencieux de l’histoire nationale chilienne, tourmentée et déchirée entre les pro et les anti-dictature. Pinochet a marqué son pays au fer rouge, le réalisateur Patricio Guzman raconte une histoire bien connue mais sous un angle rapprochant son récit de la situation sociale actuelle au Chili. Le récit est passionnant, le récit est court, mais il est puissant.
Un pays blessé à jamais
La paroi de roche et de neige semble immuable, elle bouge pourtant au fur et à mesure des ans. Les images sont magnifiques et tentent de capter l’indicible. La majesté est silencieuse, elle semble observer autant qu’elle est l’objet de vénération. Le récit onirique devient tout à coup beaucoup plus tragique quand les images inédites du réalisateur Pablo Salas sortent de leur confinement pour dévoiler une vérité crue. Des rafles, la répression, une police d’état sans pitié, les mouvements de foule, les combats de rue, le passé devient d’une actualité brulante tant certaines images rappellent les répressions actuelles telles que montrées à la télé. De l’accession au pouvoir des généraux jusqu’à leur déchéance, l’histoire est relatée par le détail mais le réalisateur rappelle que les inégalités actuelles découlent bien des passe-droits légués par le dictateur aux puissances étrangères et à quelques possédants sans vergogne. Le discours naturaliste et le rappel historique laissent place à une harangue contre les inégalités du présent, avec prémonition des troubles à venir face à l’insupportabilité de la situation.
La Cordillère des Songes est un documentaire engagé et nécessaire, rappelant que les lois de la nature tendent immanquablement vers l’entropie, et qu’aucun état n’est permanent, même pas la majestueuse montagne ou le fossé social qui se creuse. A méditer, pour le Chili mais également pour notre société.
Résumé: Au Chili, quand le soleil se lève, il a dû gravir des collines, des parois, des sommets avant d’atteindre la dernière pierre des Andes. Dans mon pays, la cordillère est partout mais pour les Chiliens, c’est une terre inconnue. Après être allé au nord pour Nostalgie de la lumière et au sud pour Le bouton de nacre, j’ai voulu filmer de près cette immense colonne vertébrale pour en dévoiler les mystères, révélateurs puissants de l’histoire passée et récente du Chili.