Le Lac des cygnes revu et corrigé par Angelin Preljocaj sur Mezzo Live : saisissant
Après Blanche Neige et Roméo et Juliette, Angelin Preljocaj renoue avec le ballet narratif et son goût pour les histoires. Mêlant le chef-d’œuvre musical de Tchaïkovski à des arrangements plus contemporains comme il aime à le faire, il s’empare du mythe de la femme-cygne, et y ajoute des problématiques à la fois écologiques, psychologiques et politiques très actuelles.
Odette est une jeune fille sensible aux questions environnementales. Quant à Siegfried, il est le fils du PDG d’une entreprise spécialisée dans la vente de plates-formes de forage. Un soir où Odette flâne au bord du lac des cygnes, elle se retrouve nez à nez avec Rothbart, un entrepreneur véreux et sorcier à ses heures. Celui-ci a découvert un gisement d’énergie fossile aux abords du lac et cherche à exploiter ces terrains. Mais confronté à la jeune fille, dont il craint qu’elle ne contrecarre ses plans, il use de ses pouvoirs et la transforme en cygne…
Beauté froide et lignes chorégraphiques réinventées
Transposition du conte donc dans le monde de l’industrie, du pouvoir et de la finance où les amours contrariées se vivent au milieu des gratte-ciels et de ses artifices entre moments de fêtes et d’hystérie collective. La première scène donne le ton : la danseuse qui incarne Odette, Théa Martin, est attrapée par plusieurs hommes en noir, et transformée, manu militari, en cygne. Cette métamorphose forcée, sur la musique inquiète de Tchaïkovski, annonce la radicalité du final qui verra les cygnes, en un moment suspendu, tomber ensemble au sol et dont la chute métaphorique au regard de l’écosystème sacrifié, prend une dimension apocalyptique.
Entre temps le livret, revu et corrigé par Preljocaj, aura suivi cette trame écologique avec inventivité. L’ambiance nocturne du lac est ici reconstituée par des vidéos de Boris Labbé qui donnent à voir deux mondes qui s’affrontent : la ville, l’industrie, la finance, et d’autre part, le lac, encore préservé, mais soudain menacé. Comme l’eau, denrée rare. Il y a une dramaturgie qui mène à la catastrophe et qui se joue en soubassement du lac qui va être profané par l’usine de raffinerie, ou de forage, dont on voit la maquette au premier acte et où la partition de Tchaïkovski se fond dans les pulsations électroniques du groupe 79D qui en augmentent la tension dramatique.
La chorégraphie, entre figures classiques et contemporaines, se déploie en grands ensembles dansants et les cygnes s’éploient en lignes onduleuses et fluides. De cette tension palpable entre l’envol et la chute qu’imprime ce lac, Preljocaj en tire des tableaux d’ensemble saisissants et pas de deux très maîtrisés où la boîte de nuit fait exploser les bals de cour tandis que les ballerines oublient les pointes pour danser pieds nus et ancrer leurs mouvements entre le tellurique et l’aérien.
Le chorégraphe s’offre même quelques citations ou clins d’œil à l’œuvre originale. Avec ses vingt-six danseurs aériens et toujours impeccables, sa charge émotionnelle pleinement assumée, ce Lac des cygnes revisité tient sa promesse entre beauté froide et lignes chorégraphiques réinventées.
Date : le 6 mai 2024 sur Mezzo Live
Chorégraphe : Angelin Preljocaj
Quand on voit que cette version du lac des cygnes a été « revisitée » et « corrigée » (en quoi cette oeuvre parfaite a t-elle besoin d’être « corrigée »?), on commence à se méfier. La bande annonce donne le ton: 3 méchants secouent Odette comme un prunier, Siegfried est évanoui par terre, dans le pas de 4, une merveille, les danseuses ont pris des allures de grenouilles; les tutus sont moins beaux, les gestes moins gracieux. Une histoire débile prétendument écolo remplace l’histoire d’origine. Noureev et Petipa doivent se retourner dans leur tombe s’ils voient ce qu’on a fait de ce chef d’oeuvre. Bon je ferai l’impasse sur ce lac « revisité » car dieu merci cette oeuvre est encore montrée sans sacrilege. Mais si c’est à ça que passe le budget culture, quelle honte!
merci! je me demandais si j’étais seule à le penser