Le Malade Imaginaire plus actuel que jamais sous le regard affûté de Tigran Mekhitarian
Comme pour son adaptation des Fourberies de Scapin, Tigran Mekhitarian a choisi de transposer son Malade Imaginaire, à notre époque. Dans cette appropriation singulière de la langue moliéresque, Tigran Mekhitarian conserve le texte original, mais l’enrichi de séquences personnelles toujours justes (chant, danse, rap) et d’un phrasé nerveux, qui l’ancre pleinement dans l’aujourd’hui et au plus près de son humanité : une réussite.
Contradictions, faiblesses, aveuglement, faux-semblants, coups de théâtre, ironie dramatique, sont à l’œuvre dans ce théâtre qui déborde de toute part et dont l’excès s’accorde à dépeindre les ressorts de l’âme humaine. Car Molière ne parle que des Hommes, de leurs vices et de leurs vertus.
Dans ce chef d’œuvre comique, la croyance en la médecine est de l’ordre de la foi et les machinations burlesques une religion. Cette foi le pousse à adopter des comportements qui choquent autant les mœurs que la raison. Sa fille épousera un médecin, a-t-il décidé, et la pauvre Angélique n’aura pas trop des trois actes de la pièce pour se défaire de ce projet funeste.
Mais la crédulité d’Argan ne se limite pas à sa soumission totale aux préceptes de la médecine. Elle s’étend également aux fausses marques d’affection de sa seconde épouse, qui convoite son héritage, et qui sera démasquée par un subterfuge. Elle trouve enfin un point culminant dans le crédit qu’il accorde à une cérémonie factice qui, au dénouement, le promeut solennellement à la dignité de médecin.
Une langue désacralisée
Mais la satire sait également faire vibrer la corde sentimentale et advenir une forme de résilience a travers l’amour filial, les échanges amoureux, le sursaut libérateur.
Dans la mise en scène de Tigran Mekhitarian, Argan est un dépressif. C’est là sa seule maladie. Il a la sensation qu’on ne l’aime pas, qu’on ne l’écoute pas. Il se sent seul et n’a pas les mots pour exprimer ce qu’il ressent. Tel un enfant colérique, il attire l’attention par ses caprices, la rage, la haine et la frustration. Dépendant des antidépresseurs qu’on lui prescrit, il est sujet à des perturbations radicales et excessives de l’humeur, et réclame de l’aide en se jouant de lui et des autres.
La modernité de ton qui désacralise le texte, frappe juste et fort. Dans une restitution très actuelle et rythmée, elle fait entendre et résonner comme jamais la solitude intime d’Argan, la rébellion féministe d’Angélique, l’amour inconditionnel de Cléante, l’humanité de Toinette, la perfidie de Béline, la protection de Béralde. Le tout à travers un jeu, des intentions, des images, des chants, un chœur, des scènes rapportées et/ou chorégraphiées qui revisitent le texte et en explore toute sa dimension dramaturgique.
Une vision de l’œuvre servie par des comédiens au diapason et en osmose totale avec ce conte aussi urbain qu’impétueux. Bravo !
Dates : du 14 au 31 mars 2024 – Lieu : Théâtre des Bouffes du Nord (Paris)
Mise en scène et adaptation : Tigran Mekhitarian