
Le Misanthrope enlevé et aiguisé de Georges Lavaudant
Georges Lavaudant s’empare pour la première fois et avec brio, de la langue de Molière. Et l’inscrit dans un espace-temps intemporel, au plus près de ce discours sur la raison et la passion, qui n’en finit pas de consumer les âmes.
La vanité, le jeu des influences, les faux-semblants, tout comme la perfidie des courtisans sont au cœur de cette pièce. Les passions humaines qui s’y déchaînent ne cessent de nous offrir un miroir grossissant de notre propre et petite condition.
Alceste, le misanthrope, est le plus loyal et le plus droit des hommes. Cet incompris, qui veut changer la face du monde, se retrouve pris au piège d’un système plus fort que lui, car il a le mauvais goût de rejeter les futilités et les mondanités.
Alceste souffre donc de l’hypocrisie du monde dans laquelle il vit. Il est pourtant amoureux de Célimène, une mondaine habitée par cet art de paraître qui voit défiler dans son salon des petits marquis courtisans, avides et calculateurs, dont il n’a que mépris.
La conversation et l’appartenance sociale avec ces signes de reconnaissance sont les éléments fondateurs de ce microcosme. Entre soi, on se croise, on échange et on tente de répondre à la question qui est sur toutes les lèvres : Célimène est-elle sincère dans son amour ?
Une comédie humaine
Avec ses enjeux, son interaction entre les protagonistes, ses contradictions à travers la posture morale d’Alceste qui se confronte à l’appel paradoxal de son désir, la parole est au centre du dispositif.
Mais aussi de la lecture subtile et précise de Georges Lavaudant qui se concentre sur le texte fondateur et une direction d’acteurs de haute volée.
Cette comédie humaine prend pour cadre un salon classieux en clair-obscur, théâtre d’ombre et de lumière jouant un dernier acte, où des glaces dépolies reflètent les âmes tourmentées des protagonistes. Elle fait la part belle aux joutes verbales et aux médisances, entre comédie grinçante et tragédie intime.
C’est en costumes d’apparat de Jean-Pierre Vergier qu’évolue ce petit monde clos qui renvoie à une classe dominante et élitiste, sûre de son entre-soi et de son pouvoir.
Un espace confiné mais où les murs peuvent être repoussés dans cette relecture, donnant l’illusion d’une certaine liberté, tout en maintenant une pression constante sur les personnages et leurs turpitudes.
La mise en scène rythmée et parfaitement maîtrisée de Lavaudant scrute au plus près ce bal des hypocrites et des flatteurs où le jeu des ambitions se dispute à celui des compromissions et révèle les ressorts secrets d’une confrérie, dissimulée sous le vernis de la politesse.
Les discussions, dont la circulation et le jeu des acteurs offrent une fluidité et une légèreté parfaites, mettent à l’épreuve la sincérité d’Alceste qui se débat comme un beau diable. Car toujours capable d’emportements face aux sentiments qu’il éprouve pour Célimène, il demeure cet homme arc-bouté dans sa critique du monde et son refus viscéral d’une société du paraître, de la dissimulation et dans laquelle la médisance s’avère un art à part entière.
Dans cette fuite en avant, les comédiens sont au diapason pour faire entendre la posture désinvolte et contrariée d’Alceste, seul contre tous, incarnée héroïquement par un Éric Elmosnino, époustouflant.
Dates : du 12 au 30 mars 2025 – Lieu : Théâtre de l’Athénée (Paris)
Mise en scène : Georges Lavaudant