Odéon-Théâtre de l’Europe du 15 mai au 28 juin 2015
Isabelle Huppert et Louis Garrel magnétisent ce Marivaux, où se révèlent entre esquive et intrigues les vertiges de l’amour, dans une mise en scène aussi subtile que brillante de Luc Bondy.
Le théâtre de Marivaux est tout un art, l’art même du théâtre, où il est d’usage d’orchestrer des stratégies amoureuses avec sa part d’imprévu. Si le cœur est une forteresse, alors il faut déployer des trésors d’ingéniosité pour s’en emparer. Il y a dans ce goût du calcul et de l’improvisation, une certaine dose de mystification. Mais ce n’est qu’une étape nécessaire pour obtenir, à la fin, le cœur de celui (ou celle) qu’on convoite ardemment.
Isabelle Huppert, mutine, est éblouissante aux prises avec son vertige amoureux irrépressible dans un jeu en perpétuel réinvention
Une leçon de Tai-Chi ouvre la pièce on l’on voit Araminte/Isabelle Huppert prendre un cours avec son coach au milieu d’une dizaine de paires d’escarpins, disposés en cercle. La riche veuve habillée en Dior est une femme indépendante qui entend contrôler ses émotions et sa vie, là où les élans du cœur ne sauraient s’éloigner des intérêts de sa condition.
la mise en scène fluide, sensible de Luc Bondy scrute avec grâce et sans relâche les gradations de la passion naissante, intrigante et enivrante
Mais c’est sans compter sur Dorante, Louis Garrel, désargenté, prêt à séduire la belle dont il est fou amoureux et aidé en cela par son ancien valet, Dubois, Yves Jacques, grand manipulateur et propagateur de confidences, vraies ou fausses afin d’arriver à ses fins.
Entre-temps ce sera savamment explorée la confusion des sentiments à l’abri de multiples malentendus, machinations diverses, révélations et dissimulations, émois et aveux, mettant à l’épreuve les personnages dans un processus laborieux et initiatique avant qu’ils ne puissent se révéler à eux-mêmes.
Et la langue raffinée, experte, de Marivaux, délestée ici de toute emphase, porte à son paroxysme le sous-entendu, le double registre et le non-dit, insufflant un décalage constant entre ce qui est montré ou dit et ce qui se trame à l’intérieur des protagonistes.
Dans un décor mobile qui se construit et se déconstruit sous l’impulsion des soubresauts du cœur et de l’âme, la mise en scène fluide, sensible de Luc Bondy scrute avec grâce et sans relâche les gradations de la passion naissante, intrigante et enivrante.
Isabelle Huppert, mutine, est éblouissante aux prises avec son vertige amoureux irrépressible qui la voit se laisser attirer par un homme socialement inférieur, en échappant aux bienséances et au règles sociales qui semblaient avoir verrouillé la situation, dans un jeu en perpétuel réinvention. Tandis que Louis Garrel est cet amoureux sentimental, transi, parfait. Une Mention spéciale aussi pour les seconds rôles, Manon Combes, Jean-Damien Barbin, Yves Jacques, Jean-Pierre Malo et Bulle Ogier (la mère), hilarante en dame de fer.
Dans une image finale marquante, les amants enfin réunis s’immobilisent à jamais à quelques mètres l’un de l’autre, comme mortifiés par leurs aveux réciproques après tant de trouble et de fausses intentions.
Et si les histoires d’amour finissaient mal en général ?…