« Les Fausses Confidences » sous la magie d’Alain Françon
Georgia Scalliet (Araminte) et Pierre-François Garel (Dorante) magnétisent ce Marivaux, où se révèlent entre esquive et intrigues les vertiges de l’amour, dans une mise en scène aussi subtile que fascinante d’Alain Françon.
Le théâtre de Marivaux est tout un art, l’art même du théâtre, où il est d’usage d’orchestrer des stratégies amoureuses avec sa part d’imprévu. Si le cœur est une forteresse, alors il faut déployer des trésors d’ingéniosité pour s’en emparer. Il y a dans ce goût du calcul et de l’improvisation, une certaine dose de mystification. Mais ce n’est qu’une étape nécessaire pour obtenir, à la fin, le cœur de celui (ou celle) qu’on convoite ardemment.
La riche veuve, très convoitée, est ici une femme libre et intrépide, d’une infinie modernité sous le regard d’Alain Françon, qui n’entend pas se faire dicter ses émotions et sa vie, là où le poids des conventions et de son statut social ne sauraient pourtant l’éloigner des intérêts de sa condition. Mais c’est sans compter sur Dorante, désargenté, prêt à séduire la belle dont il est fou amoureux et aidé en cela par son ancien valet, Dubois (Gilles Privat), grand manipulateur et propagateur de confidences, vraies ou fausses, afin d’arriver à ses fins.
Entre-temps ce sera savamment explorée la confusion des sentiments à l’abri de multiples malentendus, machinations diverses, révélations et dissimulations, émois et aveux, mettant à l’épreuve les personnages dans un processus chaotique et initiatique avant qu’ils ne puissent se révéler à eux-mêmes.
La langue polie, experte, de Marivaux, délestée ici de toute emphase, porte à son paroxysme le sous-entendu, le double registre, les non-dits et la manipulation, insufflant un décalage constant entre ce qui est montré ou dit et ce qui se trame à l’intérieur des protagonistes.
Car elle ne laisse jamais oublier qu’à tout moment la musique intranquille des sentiments peut tourner à la cacophonie, voire au chaos.
Une parole donc qui constitue l’intrigue et se trouve au centre du dispositif. Mais aussi de la lecture limpide, cristalline, d’Alain Françon, qui fait entendre toutes les impulsions et gradations de la passion humaine.
Un magicien de la scène
Alain Françon est un magicien de la scène. Sa direction d’acteurs, sa précision de tous les instants, son imaginaire au service du texte, assorti d’une gestuelle clownesque et céleste des comédiens, mobilisent complètement le spectateur, propice à un questionnement de l’âme et de ses affres existentielles.
La mise en scène fluide, chorégraphique et captivante d’Alain Françon scrute avec grâce les soubresauts de la passion naissante, intrigante et enivrante.
Dans un décor faussement classique à l’épure abstraite, sur fond de musique rock entre les actes, il se charge du poids des mots et du langage, cristallisant ainsi toute la force et la diablerie de cette comédie piquante.
Georgia Scalliet, héroïne affranchie, est éblouissante aux prises avec son vertige amoureux qui la voit se laisser attirer par un homme socialement inférieur, en échappant aux bienséances et au règles sociales prédestinées, dans un jeu en perpétuel réinvention. Tandis que Pierre-François Garel (excellent) est cet amoureux sentimental, transi, et décalé. Une mention spéciale aussi pour les seconds rôles dont la mère, Madame Argante, (Dominique Valadié) est hilarante en maîtresse femme et dame de fer.
Dates : du 23 novembre au 21 décembre 2024 – Lieu : Théâtre Nanterre-Amandiers (Paris)
Mise en scène : Alain Françon