Stéphane Braunschweig montait en 2015 en ouverture de la saison théâtrale de la Colline « Les Géants de la montagne », pièce ultime et inachevée de Pirandello, et nous offre un questionnement subtil et méditatif sur la fonction de l’art et ses enjeux paradoxaux. La captation intégrale de cette pièce (via le lien de connexion) que nous avions chroniquée lors de sa création, est disponible à la fin de cet article.
La pièce met en présence une troupe d’acteurs conduite par une comtesse en quête d’un lieu pour jouer une pièce et des marginaux retirés du monde avec à sa tête Cotrone, qui se dit magicien, et se font appelés les « poissards ».
Stéphane Braunschweig réussie une mise en scène très aboutie dans un espace clair-obscur ingénieux et poétique, à la lisière du fantastique, qui nous plonge d’entrée dans un univers à la fois épuré et ambigu, où la frontière entre le réel et l’imaginaire se révèle tangible et fragile.
Elle raconte leur confrontation qui voit la Comtesse Ilse, habitée par la nécessité absolue de jouer « La Fable de l’enfant échangé » en mémoire de son auteur qui s’est suicidé, se présenter devant la villa abandonnée où vit Cotrone, un lieu régi par l’imaginaire et « la vérité des rêves », « plus vraie que nous-mêmes » selon le maître des lieux.
Il tente de la convaincre d’y achever sa quête. Mais la Comtesse veut à tout prix apporter la poésie à son public, fut-il celui des géants de la montagne dont les aspirations sont extrêmement redoutées.
Car ces géants représentent un monde brutal dénué de pensée dont l’empire hégémonique aujourd’hui économique s’opère au détriment des valeurs spirituelles et humanistes.
La fables est traversée par une angoisse, celle d’une modernité qui détruirait la poésie. « C’est la tragédie de la poésie dans la brutalité de notre monde moderne », explique à ce titre Pirandello. Mais aussi paradoxale car si Les Géants sont une ode à la liberté de l’imaginaire face aux contraintes du réel, c’est aussi un questionnement sur les limites du rêve et son enfermement utopique.
Et le texte met en présence deux formes de réalisation de son art : d’une part Cotone et ses acolytes qui ont trouvé dans leur retrait la liberté de la fantaisie, de la poésie, de l’absolu, mais en se dérobant à la vie où dans cet univers au-delà du monde, les enchantements sont alors possibles.
De l’autre côté, la comtesse et les comédiens qui revendiquent pour l’accomplissement de leur dessein, leur place parmi les hommes et en dépit de l’ordre brutal qui s’annonce.
Stéphane Braunschweig réussie une mise en scène très aboutie dans un espace clair-obscur ingénieux et poétique, à la lisière du fantastique, qui nous plonge d’entrée dans un univers à la fois épuré et ambigu, où la frontière entre le réel et l’imaginaire se révèle tangible et fragile.
La richesse de cette frontière propre à l’œuvre de Pirandello initie avec force le ressort dramatique sur l’ambiguïté de la réalité et de la vérité.
Le metteur en scène imagine aussi une fin à la pièce en faisant jouer une scène de « La Fable de l’enfant échangé » et qui parachève la destinée de la fameuse troupe de comédiens.
La distribution est portée magistralement par Claude Duparfait en Cotrone et Dominique Reymond en Ilse qui, chacun dans leur registre, imprime à la fable son emprise céleste, naturaliste et onirique.
Allégorie exigeante donc sur les mécanismes du théâtre et les pouvoirs de l’oeuvre d’art dont la mise en abyme labyrinthique est l’un des thèmes de prédilection du dramaturge.