« Oui », une rencontre tourmentée sous le regard acéré de Thomas Bernhard

"Oui", une rencontre tourmentée sous le regard acéré de Thomas Bernhard
Claude Duparfait © Jean-Louis Fernandez

« Oui », une rencontre tourmentée sous le regard acéré de Thomas Bernhard

L’œuvre de Thomas Bernhard brûle d’une rage dévastatrice et se débat à la fois contre et avec le poids d’une culture emprunte de traditions, de chaos et de contradictions. Une hargne propre à dénoncer une société mortifère, gangrénée par sa lâcheté collective, et qui s’efforçait de cacher son passé historique dans lequel elle s’était compromise.

Attaquant violemment son Autriche natale et ses intellectuels, Bernhard témoigne aussi de nos sociétés occidentales écrasées par le poids de la culture muséifiée et conformiste dont elles se servent comme expiation à leur médiocrité et à leur vide spirituel.

Cet emportement verbal qui procède chez le dramaturge d’une impossibilité viscérale à supporter le monde tel qu’il va, est celui d’une voix solitaire, qui butte et s’obstine, soutenue par le seul combat obstiné de l’artiste, jusqu’au risque de sa détestation et de son autodestruction.

Dans Oui, roman publié en 1978, le narrateur (Thomas Bernhard) raconte sa rencontre dans un village perdu de Haute-Autriche avec une autre solitude : une femme, la « Persane », incarnée à l’image par Mina Kavani. Une fois la relation derrière lui, l’homme se souvient des promenades partagées dans la forêt de mélèzes avec elle, tout aussi passionnée que lui par la musique de Robert Schumann et la philosophie d’Arthur Schopenhauer, et interroge les traces qu’elles ont laissées en lui.

Une interprétation de haut vol

Car ce fut comme un jeu de miroirs entre les deux au cours de leur relation, l’un et l’autre étant aussi perdus que désemparés. Deux êtres pétris de solitude : lui, enfermé dans ses obsessions et sa misanthropie ; elle, épouse délaissée et bientôt abandonnée par un riche homme d’affaires venu bâtir, dans un endroit désolé, une maison de béton qui a tout d’une prison.

En fond de scène et pour accompagner épisodiquement cette introspection, des séquences filmées dans la forêt automnale sont projetées, dévoilant deux silhouettes s’y engouffrant.

D’une écriture aussi sensible que musicale, ironique et poétique, à l’acuité implacable, Bernhard scrute jusqu’à l’os l’élan en embuscade aussi bien que l’échec qui lient cet homme et cette femme. De cette spirale rétrospective, hantée par la mémoire de la Persane, c’est la voix de l’éreintement qui se fait entendre entre le sursaut avorté et la déraison d’une intelligence mise à mal qui tourne à vide, imprimant irréductiblement une absurdité de l’existence.

Miroir aussi d’un monde en décomposition, dépourvu de tout esprit, aux relents xénophobes, qu’incarne une contrée retirée, porteuse en son sein d’un véritable étouffement de la chair, d’un enfermement mental et d’un repliement sur soi.

Claude Duparfait, dans une incarnation totale et magistrale, porte de tout son corps désarticulé et à l’abri d’une intonation à la résonance si justement habitée, toute l’intranquillité Bernhardienne et son anéantissement. Du grand art. Bravo !

Dates : du 24 mai au 15 juin 2024 – Lieu : Ateliers Berthier (Paris 17ème)
Mise en scène : Célie Pauthe

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu de l'acteur
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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