Le pavé dans la Marne ou le pacifisme mis à l’honneur
En ces années de commémoration solennelle du centenaire de la grande guerre, Jean-Paul Farré se place délibérément en porte à faux et imagine la défaite précoce des armées françaises à la bataille de la Marne dès 1914. Pour lui, le déshonneur militaire ne pèse rien face à ces millions de vies sauvées d’une mort inutile grâce à une déroute prématurée. Le spectacle est un vibrant plaidoyer pacifiste doublé d’un hommage à ses grands parents eux-aussi plongés dans la tourmente d’un conflit dont beaucoup ne revinrent pas. La place de l’homme est réévaluée face au grotesque d’un conflit aux raisons obscures et aux intérêts minuscules
Un discours iconoclaste
Loin de la magistralité des cours d’histoire habituels, Jean-Paul Farré présente une réécriture éminemment personnelle et quasiment sacrilège de la guerre 14/18. L’enchainement des évènements conduisant au conflit se révèle dans toute son absurdité par la magie d’alliances contre-nature et de sentiments belliqueux exacerbés. L’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand le 28 juin 1914 à Sarajevo devient un chiffon rouge agité aux yeux des peuples européens décidés à en découdre. Le narrateur émérite devient un professeur d’histoire truculent décidé à dévoiler ce qu’aucun manuel ne souligne jamais. La célèbre phrase de Raymond Poincaré La mobilisation n’est pas la guerre devient une phrase phare d’une soirée placée sous les auspices d’une bouffonnerie pleine de sens. Car si tout le monde insiste habituellement sur la vaillante victoire de la France contre l’Allemagne, Jean-Paul Farré préfère relater la masse ignominieuse des morts accumulée par un conflit mené par des hommes de pouvoir aveuglés par l’orgueil et l’imprudence. Il imagine donc un conflit durant 47 jours et non plus 1567. Il revient notamment sur l’épisode décisif de la bataille de la Marne en septembre 1914 avec ses légendaires taxis et cette manoeuvre militaire allemande prêtant le flanc à une contre attaque française décisive.
Un spectacle tout en symbolique
La scène contient elle-même une scène illustrant par l’exemple le petit théâtre de la guerre pour une mise en abime toute en nuance. Les manoeuvres et décisions militaires deviennent des farces aberrantes décidées par des hommes à l’incompétence crasse. La joueuse de violon Muriel Raynaud s’immisce sur scène en toute discrétion, figurant avec ses airs mélancoliques les femmes éplorées de soldats disparus et l’horreur de la guerre. Le spectacle laisse toute sa place à l’homme face à la machine implacable du pouvoir décidant d’un conflit sans en subir les conséquences. C’est ce gouvernement français déplacé à Bordeaux loin du théâtre des opérations, cette inflexion des armées allemandes les faisant dévier de la victoire finale vers Paris, Jean-Paul Farré expose le peu de crédibilité de décideurs bien loin de se soucier du sort de leurs troupes. Puis le spectacle devient une confession familiale et perd quelque peu de son ampleur en quittant les bancs de la grande histoire pour un hommage personnel. Mais l’important est ailleurs. Et si la grand guerre n’avait été en réalité qu’une vaste fumisterie? Il est temps de réévaluer un conflit qui, comme tous les conflits, prennent en otage des populations entières pour le plaisir de quelques uns.
Le pavé dans la Marne porte bien son nom. Une pièce qui aurait été à coup sûr interdite pour outrage en d’autres temps porte bien haut la bannière pacifiste. Et ce n’est pas son moindre intérêt!
Dates : du 18 octobre au 3 décembre 2018
Lieu : Le Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Ivan Morane
Avec : Jean-Paul Farré, Muriel Reynaud
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