Phillipe Decouflé à la Villette : un temps incarné et rejoué

Phillipe Decouflé à la Villette : un temps incarné et rejoué
Photo Pierre Planchenault

Phillipe Decouflé à la Villette : un temps incarné et rejoué

Sous le regard de Philippe Decouflé, le temps devient une matière douce, élastique, que la danse étire, replie, transforme. Dans ce spectacle « Entre-Temps » l’humour, la mémoire et la musique s’incarnent en un poème chorégraphique, emmené par un pianiste habité, Gwendal Giguelay.

Avec ce nouvel opus, Decouflé signe un spectacle d’une humanité renversante. Et offre à la danse un espace où la mémoire, le présent et la musique s’entrelacent dans une élégance savoureuse, sans ostentation. Là où entre poésie du geste et pulsation du piano, le temps s’étire, se partage, et se fête.

Sous un chapiteau devenu horloge vivante, la compagnie DCA fait donc vibrer le temps : celui des corps, des souvenirs et des présences. Une danse à la fois mélancolique et joyeuse, portée par la musique éclectique et l’intelligence du geste.

Une traversée à la fois généreuse et contemplative, nourrie par quatre décennies de création. Mais ici rien de nostalgique : il ne s’agit pas de regarder en arrière, mais de faire du passé un présent vivant, vibrant.

Eloge du présent et sa mémoire vive

Les neuf danseurs — jeunes et plus âgés — forment une communauté en marche, une horloge humaine dont chaque corps bat à son propre rythme. La scène devient un espace de transmission, d’écoute mutuelle, de continuité. Car le temps, chez Decouflé, ne sépare pas : il relie.

La chorégraphie semble d’abord simple, presque familière : des marches, des rotations, des gestes quotidiens qui se répondent. Mais sous cette apparente sobriété se cache une écriture subtile, pleine de respirations et de contrepoints.

Decouflé construit la danse comme une phrase musicale : une suite de motifs qui se répètent, se déforment, se souviennent. Les corps se déplacent en spirales lentes, s’entrecroisent, se dédoublent, comme si chaque danseur portait son propre souvenir du mouvement précédent.

Le rapport au sol, au geste — essentiel – donne à la pièce toute sa dimension : les pas sont rapides ou feutrés, les attitudes théâtralisées. Il y a du burlesque dans cette alchimie, cet humour tendre qui traverse tout le travail de Decouflé : une pirouette qui devient clin d’œil, un déséquilibre transformé en grâce, une maladresse soudain sublime.

La danse devient ici langage de résistance : elle refuse la perfection lisse, lui préférant la fragilité. C’est un art du déséquilibre, de la vibration, du presque-rien qui, naturellement et subtilement, dit tout.

Au centre du dispositif, le pianiste Gwendal Giguelay incarne littéralement le tempo du spectacle. Installé sur scène, il accompagne les danseurs comme un maître de ballet dans un cours, mais son rôle dépasse celui du simple musicien : il devient un personnage, un complice, une respiration.

Giguelay passe sans effort de Rameau à Liszt, de Bach à Philip Glass, et ses improvisations dialoguent avec la fluidité des corps. Moment d’orfèvrerie : quand les danseurs viennent l’entourer pour réciter les chiffres hypnotiques d’Einstein on the Beach, hommage à Lucinda Childs et Bob Wilson, la scène se transforme en pulsation collective — mi-rituelle, mi-ludique

Puis, d’un seul coup, le pianiste enclenche son juke-box intérieur : Madonna, Gloria Gaynor. Le temps se modernise, s’amuse. La mémoire devient pop. Cette oscillation entre érudition et légèreté résume parfaitement l’esprit du spectacle : un art du tissage, du lien, du passage.

La scénographie, fidèle à l’univers de Decouflé, épouse le mouvement sans l’enfermer : un plateau mouvant et extravagant, des ombres glissantes, des lumières et des couleurs qui flashent. Les corps s’y reflètent, se dupliquent, se brouillent — comme si le temps lui-même jouait à nous tromper.

Rien de monumental : tout est nuance, suggestion, transparence. Cette retenue, loin de l’effet spectaculaire, permet à la poésie d’affleurer. On y sent une joie paisible, celle d’un artiste qui ne cherche plus à prouver, mais à partager.

Un spectacle singulier qui résiste à l’époque formatée, impose sa cadence : une lenteur lucide, presque politique. Le spectateur est invité à respirer, à observer les micro-événements d’un geste, à redécouvrir la beauté d’une marche, d’un regard, d’une main posée sur une épaule.

Des moments qui s’étirent mais où cette suspension fait partie de son propos : laisser au temps le droit d’être là, d’être dense/danse jusqu’au bout.

Dates : du 9 au 26 octobre 2025 – Lieu : La Villette (Paris)
Conception et Mise en scène : Philippe Decouflé

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Chorégraphie
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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