Poétique amusée d’une galerie conceptuelle : Philippe Quesne en terrain conquis
Il y a chez Philippe Quesne cette folie rare, paradoxale : celle de transformer la satire en matière à rêver. « Le Paradoxe de John », nouvelle création du Vivarium Studio, s’avance ainsi comme un drôle d’objet, à mi-chemin entre la performance d’art contemporain, la poésie sonore et la comédie douce-amère.
Un spectacle qui — paradoxe oblige — se plaît à tourner en dérision l’art contemporain tel qu’on le sacralise aujourd’hui, tout en érigeant cette moquerie en geste artistique pleinement assumé.
On entre dans la salle comme dans une galerie improbable, celle que le protagoniste — un Marc Susini d’une justesse sidérante — tente d’aménager à partir de l’ancien appartement de L’Effet de Serge.
Ce décor qui revient, vieux voyageur de plateau ayant traversé trente pays, fait ici figure de ready-made géant : une relique devenue sculpture, un espace reconverti comme on retape une théorie.
Quesne s’amuse de cette archéologie de lui-même, de cette filiation presque trop parfaite avec sa pièce de 2007, mais l’intègre comme un personnage supplémentaire, une strate visible de son rapport au geste artistique.
Cartographie d’un monde légèrement décalé
La galerie qui se construit sous nos yeux ressemble immédiatement à une exposition conceptuelle qui aurait lu trop de catalogues : installations bancales, objets promus au rang de mystères métaphysiques, micro-performances dont l’ambition semble osciller entre la blague érudite et le manifeste dada.
Quesne détourne les codes de l’art contemporain avec une affection évidente — jamais méchante, toujours taquine — comme si l’on se trouvait dans une parodie montée par ceux qui connaissent trop bien ce qu’ils pastichent pour en rire franchement.
La présence des textes de Laura Vazquez — fragments taillés dans une langue vibrante, parfois éclatée — fait glisser le spectacle vers une poésie de laboratoire, un surréalisme à faible tension qui infuse l’ensemble. On devine la silhouette de Paul Nougé qui rôde, les objets qui prennent une puissance bizarre, l’humour sec, l’austérité joyeuse.
On sent aussi que Quesne aime, profondément, ces filiations : ses références ne sont jamais des décorations, mais des organismes vivants qui travaillent l’espace.
Dans cette jungle ironique, les interprètes — Isabelle Angotti incarne à merveille une sorte de témoin-observatrice, à la fois embarquée et légèrement décalée, qui capte la folie douce du dispositif tout en y inscrivant une humanité ténue.
Sa présence crée des points d’ancrage sensibles dans ce théâtre du paradoxe, comme si elle offrait, par moments, la possibilité d’un réel au milieu des dérives.
Ses partenaires Veronika Vasilyeva-Rije, Céleste Brunnquell et Marc Susini déploient à ses cotés une précision de jeu remarquable. Ils naviguent avec une clairvoyance presque musicale entre les emballements absurdes, les lenteurs savamment chorégraphiées et les surgissements poétiques.
Marc Susini campe cet amateur d’art à l’abri d’une délicatesse surréaliste : un corps légèrement en décalage, une voix qui semble sortie d’une autre époque, un humour discret mais profondément incarné. L’ensemble de la distribution forme un quatuor d’une cohérence admirable, capable de jouer l’excentricité sans jamais forcer la note.
Il y a aussi dans « Le Paradoxe de John » une part de folie douce, celle qui dérive de la liberté totale donnée aux objets : sculptures animées, éléments techniques qui se mettent à exister de manière autonome, atmosphère de club littéraire barré où la soirée peut dégénérer à chaque seconde en métaphore cosmique.
Tout cela se déroule sans tapage, sans jamais chercher à épater : comme si le spectacle revendiquait que rien n’est plus sérieux qu’un jeu bien mené.
Au fond, le paradoxe du titre pourrait se lire ainsi : Quesne crée un art qui se moque de l’art, un théâtre qui regarde ses propres mécanismes avec une lucidité amusée, une œuvre qui ne cesse de montrer qu’elle est fabriquée — pour mieux en dégager une poésie irrésistible.
On en sort en se demandant si l’ironie peut être une forme de tendresse. Chez Quesne, la réponse est oui, indubitablement.
Et c’est là que réside la grande réussite de ce spectacle : dans ce mélange de lucidité et d’enchantement, de pensée et de folie, de précision et de lâcher-prise. Une galerie d’art qui ne cesse de glisser entre les doigts, mais où chaque geste, chaque silence, chaque micro-performance semble viser juste. Pour une fantaisie au scalpel.
Dates : du 26 novembre au 6 décembre 2025 – Lieu : Théâtre de la Bastille (Paris)
Conception et Mise en scène : Philippe Quesne

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