« Richard II », un rôle en or pour Micha Lescot, de retour aux Amandiers

"Richard II, un rôle en or pour Micha Lescot
Crédit phot Géraldine Aresteanu

« Richard II », un rôle en or pour Micha Lescot, de retour aux Amandiers

Pièce du cycle Histoires (Histories) de William Shakespeare dédié aux rois d’Angleterre, Richard II est une des moins jouées de son répertoire.

Elle sert d’introduction à d’autres grandes pièces historiques, Henri IV, Henri V, Henri VI et Richard III qui racontent l’histoire tourmentée de ce XVe siècle anglais marqué par la trahison et l’effusion de sang. Des pièces qui mettent en scène des rois, certes, mais aussi des hommes de chair et de sang, saisis dans les soubresauts d’une histoire pleine de bruit et de fureur, où ils affrontent sous une pression extrême des situations de crise qui révèlent alors la part d’ombre qui sommeille en eux ainsi que l’enjeu poursuivi entre intérêt royal et vanité personnelle.

Avec Richard II, nous sommes plongés, d’entrée de jeu, au cœur d’une guerre familiale aux ramifications complexes et qui révèle, au fur et à mesure, l’objet même de son enjeu. Il y est question de rébellion, de trahison, de manigances, de turpitudes, de cupidité, de pouvoir, de couronne usurpée, d’exil. D’amour et de mélancolie aussi. Les hommes, cousins, frères, parents, nobles se nomment Richard de père en fils, ou Jean, ou Édouard, complotent, assassinent, font la guerre et meurent enfin.

Ici Richard doit juger équitablement une affaire délicate : Henry Bolingbroke, duc de Lancastre et cousin du roi, accuse Thomas Mowbray, duc de Norfolk, de haute trahison pour l’assassinat du duc de Gloucester alors que c’est le roi lui-même qui en est à l’origine. Condamnant les deux protagonistes à l’exil, Richard pille l’héritage de Bolingbroke, à la mort du père de ce dernier, Jean de Gand et pousse ainsi son propre cousin à se soulever contre lui et à précipiter sa chute.

Derrière cette guerre larvée que se livrent Richard et son cousin Bolingbroke pour la couronne d’Angleterre, Shakespeare interroge l’exercice du pouvoir. Vaste question qui nous préoccupe encore aujourd’hui à l’aune d’un monde en mutation. Richard, aussi légitime soit-il, est mal entouré et totalement déconnecté du peuple. Bolingbroke, lui, veut gagner sa légitimité par le peuple. Trahisons, compromissions, corruptions, renoncements, jusqu’où peut-on repousser les limites d’une certaine éthique politique pour asseoir son pouvoir et sa légitimité ?

L’itinéraire de Richard est aussi induit par l’Histoire, par sa prise de conscience de ses erreurs passées et de ce moment charnière annonciateur d’un cycle historique qui touche à sa fin.

Une impressionnante galerie de personnages compose cet opus, véritable constellation autour d’un roi bientôt destitué, mais qui cache un axe plus central : le peuple. Tout va se jouer dans cette Chambre des Communes où chacun va ferrailler, avancer ses arguments.

La tension est palpable, de bout en bout. Richard a une vision prémonitoire. Il sait quelle sera sa chute. Il ne renoncera pas à la couronne par faiblesse. De cette abdication, il va en faire un manifeste : c’est là toute la grandeur, et l’ambiguïté du personnage.

Une mise en scène au service du texte 

La pièce commence par un plateau immergé dans le noir et l’apparition soudaine sous un halo de lumière blanche du duc de Bolingbroke, puis du duc de Norfolk. Résonnent alors ces mots « Gentilshommes enflammés par le courroux, laissez-vous gouverner par moi, Purgeons cette bile sans répandre de sang ». Le roi Richard II, caché dans l’obscurité, se fait juge suprême. Dans cette mise abîme empreinte de noirceur, le ton est donné entre ambiguïté, violence sourde et manipulations.

Renversement d’alliances et trahisons sur fond d’opportunisme et de rivalité pour la légitimité du trône, Shakespeare nous livre le chaos d’un monde en plein bouleversement entre un Moyen Âge finissant et une époque nouvelle qui peine à se révéler. Où l’ordre suprême régi par le divin fait place à un ressort individualiste porteur de toutes les convoitises et de tous les reniements.

La mise en scène de Christophe Rauck, directeur du théâtre des Amandiers, est avant tout au service du texte et de la puissance des acteurs. Elle focalise par petites touches subtiles, au gré des différents degrés de théâtralité qui oscillent entre réalité et fiction, tragédie et bouffonnerie, des scènes puissantes et visuelles.

Le sacre de Micha Lescot 

L’épure de la scénographie, signée Alain Largarde, constituée de deux gradins mobiles, laquelle combine à dessein et par intermittence des images vidéo et des lumières sculpturales, donne toute sa place à la puissance du texte et à son éclat. Dans le pur esprit shakespearien, Christophe Rauck déroule la tragédie sur un ton à la fois brut et distancié.

Micha Lescot dans le rôle de Richard II impressionne. Silhouette longiligne et désarticulée dans un costume blanc immaculé, il est ce roi trouble et ambigu devenu souverain malgré lui, et qui, destitué, voyant lentement s’approcher la mort, laisse apparaître une part d’humanité.

Scène marquante où monté sur un rocher de la côte galloise, face aux flots métaphoriques qui ne tarderont pas à l’emporter, il observe se dégonfler le ballon de baudruche sur lequel il avait fixé sa couronne. Il n’est plus que cette âme vide et désœuvrée qui murmure : « Ni moi ni aucun homme qui n’est qu’un homme, ne sera satisfait de rien jusqu’à ce qu’il soit soulagé de n’être rien ».

Face à lui, Éric Challier est un Bolingbroke puissant dont la morgue n’a d’égale que son tempérament de feu. Le reste de la distribution est au diapason pour insuffler à la représentation cette fuite en avant shakespearienne. Bravo !

Dates :  du 2 au décembre 2023 – Lieu : Théâtre Nanterre-Amandiers  
Mise en scène : Christophe Rauck

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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