Richard III, la version gothique de Thomas Jolly
Après le succès public et critique d’Henry VI, saga de dix-huit heures, Thomas Jolly revient avec Richard III dont il prend les traits et conclut la trilogie pour l’inscrire dans un dernier sursaut de noire politique où l’esthétique gothique accompagne la marche du mal.
Richard III consacre la figure emblématique d’un homme honni, meurtri par l’absence d’amour et un handicap physique qui nourrissent chez lui un ressentiment face à sa naissance maudite.
Mais la pièce déploie aussi la tragédie d’un homme rusé et diabolique qui utilise sa rancœur comme une arme et instrumentalise les divisions au sein du royaume pour s’emparer du trône. Shakespeare à travers cette fresque démoniaque traite donc de la question du pouvoir et de son ascension aux prises avec des stratégies de séduction et de manipulation. Où le prétendant pour accéder au trône devient la figure du mal absolu au service d’une ambition tyrannique et sanglante qui interroge également la force rhétorique du langage et de sa machination, capables d’asseoir un dessein.
Et dans cette fuite en avant se lit aussi l’imaginaire déjà grotesque de Shakespeare et son goût pour une théâtralité exacerbée. Car Richard use de tous les artifices du théâtre à l’instar de Thomas Jolly et de ces faisceaux lumineux qui tournoiement sur la scène, éblouissent les spectateurs, et sculptent l’espace au gré de la déshumanisation qui s’installe, des rebondissements et de la mort qui rôde.
[…] Des scènes fortes égrènent le spectacle […]
La Famille d’York vient de conquérir le royaume d’Angleterre. Henri VI a été tué, Edouard IV règne. Son frère, Richard de Gloucester, monstre difforme et mal aimé supporte mal cette paix qui s’installe. il en sera donc le trouble-fête vénéneux et tragique. Il entame une sanguinaire marche au trône en faisant assassiner son frère Clarence, puis, son autre frère, le roi lui-même.
Dès lors, plus rien ne l’arrêtera pour se débarrasser de tous les gêneurs – ennemis comme amis -, avec beaucoup de facilité, là où l’ horreur de Richard III n’est pas que Richard, mais le résultat d’un processus collectif qui prend aussi ses racines dans sa lignée déjà fratricide.
Thomas Jolly est un Richard III omniprésent. Un soleil noir aussi brûlant que maléfique où entre difformité et mégalomanie, séduction et manipulation, il fait de sa conquête du pouvoir une damnation assumée.
La mise en scène de Thomas Jolly dans un parti-pris aux codes visuels très référéncés et une ambiance pop/rock joue à merveille la carte Shakespearienne avec ses différents degrés de théâtralité qui oscillent entre réalité et fiction, tragédie et bouffonnerie, focalisant des scènes aussi tragiques, clownesques que puissantes. Le tout porté par une direction d’acteurs homogène.
[…] un soleil noir aussi brûlant que maléfique […]
Des scènes fortes égrènent le spectacle à l’instar du couronnement de Richard III qui prend des allures de concert rock digne d’un meeting politique où la manipulation du peuple est portée à son paroxysme ou celle encore qui voit tel un clip vidéo les fantômes et les remords assaillirent le roi.
A partir d’une aire de jeu à ciel ouvert propre au théâtre élisabéthain, encadrée par des échafaudages métalliques et l’utilisation de la musique, de la lumière, elle est un écrin tonitruant à ce théâtre de bruit, de sang et de fureur.
Dates : du 6 janvier au 13 février 2016 l Lieu : Odéon – Théâtre de l’Europe (Paris)
Metteur en scène : Thomas Jolly