Romane Bohringer, la magnifique dans les mots d’Annie Ernaux, à Avignon
Annie Ernaux raconte dans « L’occupation » (publié en 2002 aux éditions Gallimard) comment, après avoir rompu avec W. mais continuant de le revoir régulièrement, elle a sombré dans une jalousie maladive lorsqu’il lui a annoncé qu’il allait vivre avec une autre. Une descente aux enfers qui fait vaciller sa raison, mobilise son énergie, et obnubile sa pensée.
C’est une souffrance omniprésente, une « occupation » au double sens du terme, que décrit alors la narratrice avec son emprise maléfique qui la pousse à vouloir connaître – dans une quête aussi obsessionnelle que dévastatrice, et au prix de longues recherches sur Internet ou d’enquêtes téléphoniques anonymes – l’identité de sa rivale, à travers quelques indices sur son âge, son métier et son quartier.
Elle ne vit alors que pour ça, comme dépossédée d’elle-même, prisonnière de cette urgence impérieuse et incontrôlable d’aller jusqu’au bout de ce qu’elle a ressenti pour tenter de découvrir sa vérité aux prises avec ce ressentiment d’être devenue une étrangère à l’intimité de l’autre mais aussi à elle-même.
Les maux conjurés d’Annie Ernaux
Un cheminement introspectif donc où finira par se consumer cette obsession malsaine et laisser place au détachement d’une spectatrice désormais maîtresse du sentiment dont elle a été durant quelques mois à la fois la victime et le bourreau.
Harpe, piano et équipements électroniques de Christophe « Disco » Minck accompagnent ce drame intime et martèlent le texte acéré, parfois cru, d’Annie Ernaux dont l’écriture creuse et conjure cette douleur pour mieux en exorciser les maux.
Progressant sur ce chemin vertigineux, Romane Bohringer est magnifique. Elle irradie la scène de cette vérité humaine à la fois déraisonnable et vivante, emportée et complexe, lucide et dérisoire.
Dates : du 7 au 30 juillet 2022 l Lieu : Théâtre des Halles (Avignon Festival Off)
Metteur en scène : Pierre Pradinas l Avec : Romane Bohringer