Roméo et Juliette : le ballet théâtral flamboyant de Rudolf Noureev
Avec Roméo et Juliette, Rudolf Noureev s’empare comme nul autre du souffle épique de l’un des chefs-d’œuvre de Serguei Prokofiev.
Dans une mise en scène fastueuse et cinématographique qui joue sur les flash-back, inspirée à la fois de la Renaissance italienne (décors et costumes) et des combats de rue tout droit sortis de West Side Story, le chorégraphe restitue sans relâche la tension et la fureur de vivre qui attisent le drame shakespearien. Il met aussi l’accent sur la figure de l’héroïne dont le premier amour interdit en fait une rebelle contre sa caste.
Juliette y incarne cette soif juvénile d’aimer, immergée dans un environnement hostile marqué par les clivages qui dressent des clans les uns contre les autres et annihilent toute volonté d’émancipation.
[…] le chorégraphe restitue sans relâche la tension et la fureur de vivre qui attisent le drame shakespearien.
La mort est aussi omniprésente. A la fois de manière concrète et sous forme allégorique. Dès le commencement où le rideau se lève sur un cortège funèbre : au petit matin, des moines poussant une charrette de cadavres, emmènent – hors des remparts de la ville – les corps de ceux qui, la veille, ont trépassé de la peste.
Puis, devant la maison des Capulet, alors que Roméo, Mercutio et leurs amis s’amusent à parodier l’entrée des invités, un mendiant les interpelle en tendant la main. Roméo se laisse attendrir et lui donne un pièce d’or. En recevant cette aumône inattendue, le pauvre s’étouffe et rend son dernier souffle.
Ainsi « né sous une mauvaise étoile » (ce que symbolise le groupe des quatre hommes du Destin jouant aux dés, pour ouvrir et clore le spectacle) Roméo veut « bien faire », mais chaque fois qu’il agira, il ne cessera de répandre la mort autour de lui : le mendiant, Tybalt, Pâris et Juliette.
Sur la partition-fleuve et symphonique de Prokofiev, la chorégraphie se pare d’un jeu d’opposition entre scènes de groupe et scènes intimes qui permet à la musique en osmose parfaite, de jouer sur les contrastes avec des leitmotive accompagnant les personnages transformés au fil de leur évolution.
Noureev témoigne de son style inventif : dense, exalté, lyrique, rude et poétique au service de l’action dans les scènes de foule sur la place publique, avec interventions d’acrobates, ballet de porte-drapeaux et mimiques expressives mais aussi des sentiments, ainsi qu’un réalisme théâtral dans les affrontements entre Montaigu et Capulet où les scènes du corps de ballet traduisent également l’atmosphère menaçante qui plane sur l’œuvre.
[…] un tempo vertigineux […]
Sa danse physique et libre non dépourvue d’humour, s’imprègne de toute la dimension intime, charnelle, guerrière, inhérente aux texte de Shakespeare, qui voit les corps exacerber l’amour fou et le désir ardent, la haine et la trahison, l’injustice et l’oppression. Le tout à l’abri d’un tempo vertigineux et d’un engagement total des danseurs/interprètes.
Un emportement donc, tel un fil rouge, qui imprègne en filigrane toute l’intrigue d’une destinée jusqu’auboutiste et sacrifiée à la haine des adultes.
La distribution est au diapason emmenée dans les rôles titres par Josua Hoffalt (Roméo) et Myriam Ould-Braham (Juliette) avec une mention spéciale aussi à Emmanuel Thibault (Mercutio) et Stéphane Bullion (Tybalt) où le final, dans un tableau saisissant d’intensité, parachève son homogénéité et consacre sans détour la mort des deux amants, tandis que dans l’accomplissement de leur destin funèbre, les deux familles ennemies sont enfin réconciliées à jamais.
Dates : du 19 mars au 16 avril 2016 l Lieu : A l’Opéra Bastille (Paris)
Chorégraphe : Rudolf Noureev