Sandrine Bonnaire, éperdument « durassienne » dans L’Amante anglaise

Sandrine Bonnaire, éperdument « durasienne » dans l’Amante anglaise
Sandrine Bonnaire dans « L’Amante anglaise », de Marguerite Duras, mise en scène par Jacques Osinski © Pierre Grosbois

Sandrine Bonnaire, éperdument « durassienne » dans L’Amante anglaise

Avec L’Amante anglaise, Marguerite Duras revisite un meurtre qui a eu lieu à la fin des années 1940. Par le biais d’un double interrogatoire, d’un double dialogue, elle creuse l’idée du mystère, de l’incompréhension, de la perdition d’une âme, au regard de l’acte criminel. Et elle nous place face à une énigme que l’on essaie de comprendre. Elle use d’une forme de suspens, tout en déployant les grandes thématiques de son écriture, comme la folie et l’amour, qui sont les deux pierres angulaires de L’Amante anglaise.

Le 8 avril 1949 on découvre en France, dans un wagon de marchandise, un morceau de corps humain. Dans les jours qui suivent, en France et ailleurs, dans d’autres trains de marchandises, on continue à découvrir d’autres morceaux de ce même corps. Puis ça s’arrête. Une seule chose manque : la tête. On ne la retrouvera jamais.

Grâce à ce que l’on appelle le recoupement ferroviaire l’enquête permet de découvrir que tous les trains qui ont transporté les morceaux de ce corps sont passés à Viorne, dans l’Essonne.

Très vite, l’enquête mène à une femme, Claire Amélie Lannes, 51 ans, ressortissante de Viorne depuis 20 ans et marié à Pierre Lannes.

Dès qu’elle se trouve en face de la police, Claire Lannes avoue son crime. Elle dit avoir assassiné sa cousine Marie-Thérèse Bousquet, sourde et muette. Malgré son évidente bonne volonté tout au long du procès, Claire Lannes ne réussira jamais à donner d’explications à son geste.

Le théâtre de l’amante anglaise est construit sous forme de deux interviews successives. Celle de Pierre et de Claire, l’un après l’autre. Et il ne se passe rien, ou presque. Si ce n’est ce face à face qui imprime une attention extrême à ce qui se dit et ne se dit pas. Car un secret est là, lourd, qui ne nous lâche pas.

Un huis clos hors du temps

Une personne donc pose des questions, l’autre essaie de répondre. Cet homme, dont on ne sait qui il est, interroge sans jamais chercher à juger, tout entier tendu dans la volonté de comprendre, d’être dans la tête de l’autre, avec une ferveur, un absolu presque religieux. Il questionne tout d’abord, Pierre que Duras décrit dans une interview comme la quintessence du petit bourgeois haïssable mais qui existe malgré tout et en dépit de la volonté de son autrice, Pierre qui répond avec pragmatisme aux questions qu’on lui pose, puis Claire elle-même. Claire est de bonne volonté. Elle aussi cherche à comprendre. Mais elle ne sait expliquer.

Un huis clos hors du temps qui scrute l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus sombre, de plus inconnu et de plus vertigineux. Mais c’est aussi le portrait d’un couple dans l’impasse, le récit d’une femme brisée. Une histoire d’amour qui n’a pas résisté à l’usure du temps, aux renoncements et à la recherche d’absolu, si propre à l’œuvre « durassienne ».

Loin de tout lyrisme, formalisme abstrait ou métaphysique, le texte déploie un style concret, précis, épuré, proche du réel et de l’humain, infiniment moderne. Duras dissèque sans relâche les deux protagonistes de façon presque clinique, où l’écriture fait loupe. Elle s’appuie sur la figure de l’interrogateur qui déploie une parole proactive, tentant de dévoiler les racines possibles du crime. Par ses questions, tout ressurgit, le passé, les non-dits, dans un rythme musical, haletant.

La forme dramatique donne l’illusion d’une enquête. Mais quand tout s’éclaircit, tout se dérobe aussi. L’écriture se trouve alors ponctuée de béances, de lapsus poétiques qui brouillent les certitudes. La menthe anglaise, plante qui pousse dans le jardin du couple, devient « L’Amante anglaise », nous plongeant dans un imaginaire transfiguré. Le chemin vers la vérité demeure impénétrable, irréconciliable, jonché « d’arbres morts », de « rivières à l’eau trouble ».

Les personnages ne parlent pas tous la même langue et à travers le rôle de Claire Lannes, Marguerite Duras nous fait entrer dans une zone trouble, insécure, à la lisière d’un enfermement intérieur et de sa folie insondable.

La mise en scène sobre et épurée de Jacques Osinski est au plus près de la langue de Duras et de cette oralité de la pensée à la fois intense et atypique.

Frédéric Leidgens (l’interrogateur,) campe à merveille cet homme qui ne juge pas Claire, qui l’écoute et veut seulement d’une manière presque religieuse découvrir les ressort de sa personnalité pour tenter de comprendre l’inaudible. Face à lui, Sandrine Bonnaire, fascine dans le rôle de Claire. Elle demeure inatteignable, possédée par une intériorité fébrile, des silences immobiles et quelques sourires aussi innocents qu’enfantins. Enfin, Grégoire Oestermann, d’une dangereuse douceur, incarne Pierre, ce mari débonnaire à l’esprit étriqué et quelque peu dépassé.

Dates : A partir du 19 octobre 2024 – Lieu : Théâtre de l’Atelier (Paris)
Mise en scène : Jacques Osinski

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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