Six personnages en quête d’auteur, le drame surréel de Pirandello
Dans « Six personnages en quête d’auteur », une troupe de théâtre, pour le moins désabusée, répète, quand elle est interrompue par des personnages qui s’insurgent contre la fausse vérité des acteurs et actrices jouant leur histoire.
L’incident n’est pas sans semer le trouble chez le metteur en scène lunaire et haut perché (Guillaume Gallienne) et des acteurs en crise qui se confrontent à leur jeu et à leur limite, dans une pièce de Pirandello.
Dans une lutte acharnée, acteurs et personnages vont dès lors chercher à imposer leur propre conception entre fiction et réalité, où une famille dysfonctionnelle se remémore ses traumas pour remonter jusqu’à l’essence du drame et son exorcisme.
La mise en abîme – du théâtre dans le théâtre – est l’un des thèmes de prédilection de Pirandello. ll travaille en permanence la question de la permutation des places, des fonctions, du double identitaire. Dans « Six personnages en quête d’auteur, » le metteur en scène se rêve en auteur tandis que les personnages se revendiquent les acteurs de leur propre drame et quant aux acteurs, ils deviennent des spectateurs. Le tout orchestré devant un public qui n’en est pas un car il s’agit d’une répétition !
Le vertige pirandellien ici et maintenant
Et cette confusion des rôles à la fois troublante, dérangeante et fascinante, Marina Hands l’a imaginée au plus près du réel. A l’abri d’une mise en scène fiévreuse et endiablée, elle orchestre des emportements, des ruptures, des hors champs qui activent l’imaginaire des loges ou des coulisses, convoquent le dedans ou le dehors, brouillant la frontière entre le réel et la fiction qui se révèle aussi illusoire qu’interchangeable.
La richesse de cette opposition propre à l’œuvre du dramaturge initie avec force le ressort dramatique du dédoublement. Où le passage d’une vérité à l’autre dans un jeu de miroir incessant se charge et se transforme tout en ouvrant une réflexion abyssale sur la création théâtrale dans ses tenants et ses aboutissants les plus intimes.
Le monde du théâtre devient comme le lieu de la fabrication de tous les possibles : de l’inceste à peine déguisé à la mort violente d’une innocente.
Marina Hands resserre la distribution à 8 comédiens au lieu des 22 sur une nouvelle traduction de Fabrice Melquiot qui inscrit ce drame social pleinement dans l’aujourd’hui avec aussi ses enjeux sociétaux, où la lisière entre le vrai et le faux n’a jamais été aussi confuse, et dont les comédiens du Français s’emparent avec ferveur et intensité.
La troupe à l’unisson, emmenée par Guillaume Gallienne, Thierry Hancisse et Adeline d’Hermy, nous entraîne dans cette spirale qui relève du méta-théâtral où après la répétition et sa dimension multiple et exutoire, la réalité du drame se révèle enfin.
Dates : du 5 juin au 7 juillet 2024 – Lieu : Comédie-Française Vieux-Colombier (Paris)
Mise en scène : Marina Hands