Sound of Music : Une mélodie pour nos malheurs
Qui a dit que la comédie musicale ne pouvait pas être sérieuse? Sound of Music, la dernière création de Yan Duyvendak relève le défi. Notre société souffre de tous les maux, mais c’est à travers des danses proches de la transe et des chansons suaves mais délicieusement satiriques que le performeur genevois choisit de la dénoncer. Une époque en crise ? Oui, mais rythmée par le beat !
Dates : les 14 et 15 octobre au Carré des Colonnes à Bordeaux, du 27 au 31 octobre au Vidy Théâtre Lausanne, 29 et 28 mars 2016 au Centquatre à Paris
Metteur en scène: Yan Duyvendak
Corps en mouvements désorganisés, toutes lumières allumées, silence concentré, on entre dans Sound of Music comme dans une répétition. A mille lieux de Broadway ? Pas si sûr… Très vite, les airs un peu kitsch et calibrés arrivent, mais, surprise, ils portent avec une ironie mordante des propos totalement inverses. Suicides d’employés, désastres écologiques, surpopulation, ce sont les crises qui intéressent le metteur en scène, Yan Duyvendak.
Il y a même double ironie, puisque ces propos graves, catastrophistes diront certains, nécessaires à rappeler selon d’autres, sont eux-mêmes pris à contre-courant. « Utopia » scande ainsi le refrain d’une chanson sur la montée des eaux, phénomène qui permettrait enfin une expérience « so cool« , habiter des villes flottantes. Dans une autre chanson, les interprètes, dont deux excellentes voix masculines, s’interrogent très sérieusement sur la nécessité de mettre fin à leurs jours. Décalage total, presque cynique, sur le mode majeur (celui des mélodies joyeuses) propre à ce genre de spectacle. Ce n’est pas un hasard si Sound of Music emprunte son titre à l’un des piliers du genre, La mélodie du bonheur (The Sound of Music pour la version anglophone).
Sobriété… et paillettes
Le paradoxe se poursuit dans les corps, qui évoluent parfois sans musique, en des danses simples et lentes, presque sacrées, puis se meuvent à l’unisson en une chorégraphie très américaine aux sourires éclatants. Yan Duyvendak n’a peur de rien, pas même de laisser un plateau entièrement vide de décor, ou de regrouper sur scène les professionnels de la comédie musicale de Hambourg et les élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Si l’homogénéisation est plus ou moins réussie selon les chorégraphies, l’effet de masse est impressionnant.
[…] derrière le vernis doré, la détresse des humains…
Comme pour toute comédie musicale digne de ce nom, les paillettes ne sont pas en reste. Les comédiens se dorent de T-shirt brillants, jusqu’à se noyer dans un océan de lumière, reflété sur la surface noire miroitante du sol et du fond de scène. Après un peu plus d’une heure de dénonciation des crises actuelles, les personnages semblent happés par ce faste qu’ils reniaient, éblouissant et assourdissant le spectateur.
Car si Yan Duyvendak choisit la légèreté et la suavité de la comédie musicale, il veut néanmoins en extraire la gravité de notre époque. Sound of Music se fait alors par instants, le chantre de la moralisation écologique, et c’est dommage. Si le texte des chansons – en anglais surtitré – est tordant, c’est moins le cas pour la seule tirade du spectacle, où l’on croit entendre les conclusions d’un film de Yann Arthus Bertrand. Tout à son propos, Sound of Music fait le choix d’oublier les personnages, aucun n’est identifié. Mais c’est au détriment de la narration, et les transitions entre les chansons semblent parfois pauvres ou injustifiées.
La couverture de survie, image finale du spectacle, en est le symbole parfait : derrière le vernis doré, la détresse des humains… Mais « All right, good night » s’exclame la dernière chanson.