Tracer des lignes.
Le monde d’après. Retenir les leçons. S’en émanciper. Apprendre à (s’)aimer. Comprendre notre destinée. Le cinéma, miroir de notre quotidien, de nos sociétés, gouffre d’exploration infini de l’âme humaine, cela est encore d’actualité au moment où nos certitudes et turpitudes flirtent de plus en plus intensément. Éteindre l’écran, mais lequel. Étreindre l’écran, mais lequel. Au moment où l’on n’a jamais été autant abreuvé de créations audiovisuelles, se pose de plus en plus la question de l’éducation à l’image, de la transmission des ressentiments, de la consommation juste et idéale sans paraitre élitiste. Des géants s’effondrent, Disney, Marvel, Warner, tous vacillent ou tremblent. Le cinéma français est plus que jamais source de créativité inépuisable. Je cite les absents de notre Top 10 mais qui auraient largement pu y être : Anatomie d’une chute, Chien de la casse, Le règne animal ou encore La passion de Dodin Bouffant. Un modèle qu’il faut absolument protéger, cajoler et plébisciter, et ce au-delà de toutes considérations transpartisanes. N’est-ce pas Monsieur le Président ?
10 – Copenhague Cowboy (Nicolas Winding Refn – Danemark).
On commence avec cette dixième place synonyme d’entrée de jeu d’entorse au règlement, une mini-série. Ou plutôt telle que je la vois : un long film de 8 heures où sont concentrées toutes les obsessions formelles et scénaristiques de NRW, alias de l’esthète danois Nicolas Winding Refn, de retour au pays. Un pur polar vénéneux où la complexité des relations humaines est scruté avec délectation par l’un des plus grands plasticiens de notre époque. Il y compose également un surprenant portrait d’anti-héros féminin tel qu’on en avait plus vu depuis Kill Bill. Un choc démentiel produit par Netflix qui a passé son année à bousculer les salles obscures.
9 – De grandes espérances (Sylvain Desclous – France).
De grandes espérances : c’est tout ce que l’on peut souhaiter à Rebecca Marder, dont l’ascension fulgurante débutée l’an passée rappelle fortement l’étoile filante Adèle Exarchopoulos. A l’image de son personnage ici, timoré, effacé, puis transcendé par la force des choses. Elle avale littéralement le toujours magnifique Benjamin Lavernhe, autre météorite de notre cinéma, dans une sombre histoire de quête de pouvoir et d’ambition, de culpabilité et de rédemption impossible. Un film brillant porté par une écriture exigeante et très maline.
8 – Past Lives (Celine Song – Corée du Sud/USA).
Celine Song et Greta Lee sont deux nouveaux noms à graver dans le marbre du petit manuel du cinéphile édition 2023. La première pose une partition hallucinante de maitrise dans le rythme, les mots, les corps et le cadre pour narrer cette histoire de retrouvailles d’amour d’enfance. Un thème vu et revu où Song nous impose un trio d’acteurs exceptionnels parmi lesquels Greta Lee, vraie lumière qui dicte le tempo de ce retour aux sources délicat. La finesse déployée confère à l’ensemble une aura où le moindre regard, mouvement du corps, mot prononcé, provoque frisson et émotion de part et d’autre de l’écran. Et ça c’est fort.
7 – Limbo (Soi Cheang – Chine).
Attention, grosse claque esthétique en perspective. Tant et si bien que l’on peut rapidement se demander si on ne tiendrait pas le 3e frère caché de la saga Noire Sin City de Miller. Soi Cheang est littéralement l’OVNI que personne n’aura pu voir venir en 2023. Honnête faiseur de chinoiserie depuis plus de 20 ans, rien ne pouvait nous préparer à cette noyade dans les poubelles de Hong Kong sur les traces d’un tueur en série. Cette noirceur intense couplée à une maitrise visuelle de tous les instants font de Limbo le polar sensation de l’année.
6 – Wes Anderson & Roald Dahl chez Netflix (USA).
Nouvelle entorse avec ces 4 petites merveilles de court-métrage balancées coup sur coup sur Netflix. Une association évidente que celle du romancier de l’enfance merveilleuse par excellence, le britannique Roald Dahl, et l’un des plus bels illustrateurs de l’art cinématographique bonbon-pastel, Wes Anderson. Une réussite époustouflante où la maestria des mots se confondent avec la virtuosité d’une mise en scène théâtrale où chaque acteur pose une note quasi parfaite sur l’écran. 4 petits bijoux d’humour caustique, de morale suggérée et de sentiments contrastés. Encore !
5 – Yannick (Quentin Dupieux – France).
Personnellement découvert et apprécié il y a 2 ans dans la nouvelle errance estivale sétoise, Fragile, sous le format de second rôle à grande gouaille et coupe punk à gel improbable, jamais je n’aurais pu prédire que les cinéastes et les cinéphiles allaient tomber aussi rapidement amoureux de Raphaël Quenard, avec pas moins de 8 films sortis en 2023 (!!). Tant et si bien que Quentin Dupieux ose complètement renverser la table du film et de la pièce de théâtre à travers Yannick, succulent moment hors du temps où tout devient possible. Un délire fou servi par des dialogues d’une intelligence et d’une noirceur comique communicative. Et au sommet de cet art : Quenard ! Évidemment.
4 – Tár (Todd Field – USA).
Et si Tár allait titiller Amadeus au sommet des grands films sur la musique ? D’autant plus que derrière cette partition réglée à la demi-croche près, se trouve le sommet de 2 artistes : l’inattendu Todd Field et la Reine des reines : Cate Blanchett. Elle y joue tout et avec une perfection rarement atteinte au cinéma. Et cela tombe bien car Field lui a concocté du sûr-mesure dans le portrait de cette cheffe d’orchestre qui doit constamment dealer avec la perfection. Réalité et fiction se confonde, tant l’exigence est omniprésente et carnivore. Nous, on s’en délecte encore et encore.
3 – Winter break (Alexander Payne – USA).
On croyait qu’il avait perdu sa science des maux, Winter break siffle la fin de la sieste pour Alexander Payne, de retour en pleine forme. Une simple histoire de pardon, d’amour et de mort, comme autant de thèmes évidents pour contrecarrer la magie de Noël. Le tout servi par un improbable trio déjà inoubliable : Paul Giamatti, Da’vine Joy, et la découverte de l’année, Dominic Sessa, tous dramatiquement drôles. Payne n’avait plus autant visé juste depuis Sideways. En croquant sous la neige les destins croisés de ces trois cabossés de la vie, il nous offre un nouvel instantané culte de Noël.
2 – Le monde après nous (Sam Esmail – USA).
Mr Robot et sa parano débarque sur grand écran. La série démentielle à la maitrise folle a enfanté d’un bijou de stress 18 carats que n’aurait pas renié Shyamalan, qui par ailleurs a moissonné plus mollement sur ce terrain de la fin du monde en début d’année. Sam Esmail joue à la tisane et infuse ses arômes vicieux aux spectateurs, acteurs à part entière de ce cauchemar éveillé et étourdissant où collapsent Tesla, pétrolier et avion. Esmail s’amuse en semant la confusion constamment dans un quasi huis-clos de toute beauté formellement, et où la fiction se nourrit fortement de notre réalité. C’est peut-être là, sa plus grande force : se nourrir de nos propres peurs quotidiennes.
1 – L’enlèvement (Marco Bellocchio – Italie).
Tutoyer les sommets, c’est ce que Marco Bellocchio ne cesse de faire depuis quelques années. L’enlèvement et sa terrible histoire dramatique au cœur de l’Inquisition lui offre l’occasion rêvée de marquer un peu plus le 7e Art. Toucher à l’enfant, la famille, dernière valeur refuge quand tout semble vaciller autour. Arpenter les arcanes impénétrables du pouvoir pontifical pour comprendre que le droit divin est avant tout formé par l’égo humain. Peindre la scène la plus déchirante de l’année face à un mur qui se veut être l’amour tout puissant et universel, la compassion et le partage. Et nous faire chavirer. Définitivement.