Un beau moment de grâce avec Un coeur simple au Théâtre de Poche Montparnasse
Un Coeur simple est rien de moins que la pièce du mois d’octobre, tout simplement. Isabelle Andréani occupe la scène, elle hypnotise et elle envoute. Dans le rôle apparemment ingrat de Félicité, femme de devoir qui s’accommode de la frustration apparente de sa vie de servante dévouée, elle voit pourtant des raisons d’être simplement heureuse là où d’autres maugréeraient dans des récriminations sans fin. Avec une économie de moyen qui s’illustre par ces objets chiches sortis de sous une estrade en bois, Félicité raconte sa vie, les gens qui l’ont côtoyé, les enfants de sa maîtresse, son neveu, les petites joies qui en deviennent des grandes et les grandes peines qu’elle surmonte grâce à son caractère entier. Une pièce de théâtre saluée par une salve d’applaudissements finaux nourris de bravos cent fois mérités. Un grand moment de théâtre à découvrir au Théâtre de Poche Montparnasse.
Une pièce sans hypocrisie et sans subterfuges.
Beaucoup d’anciens adolescents ont lu 3 Contes de Flaubert au collège. Un cœur simple, Légende de Saint Julien l’Hospitalier et Hérodias ont ennuyé ou au contraire charmé ceux qui les ont lus. La première histoire ravive un temps pas si ancien où tant d’êtres dans l’indigence se sont mis au service de grands bourgeois fortunés, dans l’ombre mais pas sans acquérir une place centrale. A l’instar de la dialectique du maître et de l’esclave chère à Hegel, Un coeur simple raconte le destin sans ampleur d’une femme qui se raccroche aux éléments de son quotidien pour créer de la joie. Les enfants de ses proches, le rythme inlassablement répété de ses tâches ménagères, Loulou le perroquet rouge aux ailes turquoises, tous lui apportent ce supplément de vie sans quoi elle ne se verrait pas exister. Et Isabelle Andréani interprète magnifiquement à elle seule ce destin de femme de rien qui devient l’héroïne d’une nouvelle d’un des plus grands auteurs du XIXe siècle. Et certains se diront qu’il est surprenant qu’une telle histoire rencontre un tel succès au début du XXIe siècle. Car durant 1h10, aucune trace d’insignifiance ne transparait dans un récit si peu de notre temps. Même si les rumeurs du village normand rappelleront les unes futiles des sites internet de médias occidentaux souvent proches du vide, l’existence de Félicité est celle d’une terrienne, certes peu éduquée mais au coeur sensible et fragile aux attaques du dehors. Cette sensibilité touche le public en plein coeur durant tout le spectacle. Félicité ne critique pas, ne fait pas de jugement hâtif et ne condamne pas. Elle sait l’importance du respect mutuel pour permettre le vivre ensemble. Isabelle Andréani prête certes quelques mots flagorneurs ou caricaturaux aux différents personnages qui évoluent autour de Félicité, attisant quelques éclats de rire bienvenus pour quitter une certaine pesanteur récurrente, l’héroïne a tout d’une sainte au coeur d’une époque nichée entre l’épopée napoléonienne et les révolutions du XIXe siècle. Et à la fin, ce que le discours final de l’actrice souligne aussi bien, c’est surtout le sentiment d’une juste célébration du destin de femmes de rien qui ont contribué à la vie des familles au XIXe siècle qui ressort. De quoi faire du bien dans notre époque par trop anxiogène et jonchée de quêtes loin de la vérité du personnage de Félicité.
Un coeur simple se joue encore pour quelques semaines au Théâtre de Poche Montparnasse avant quelques reprises aux dates à voir sur le site internet du théâtre. C’est le moment de réserver sa place pour admirer la performance d’une comédienne aussi honnête et droite que le personnage qu’elle interprète. Et ça fait du bien.
Dates : A partir de 2 octobre 2018, du mardi au samedi à 19h
Lieu : Théâtre de Poche Montparnasse(Paris)
Metteur en scène : Xavier Lemaire
Avec : Isabelle Andréani