Un Don Carlo et son double pour la Première à l’Opéra Bastille
Le livret de Don Carlos de Verdi dans sa version originale en français, tiré d’une pièce du poète et dramaturge Allemand Friedrich von Schiller, avait créé l’évènement lors de sa présentation il y a deux ans. Dramaturgiquement complexe, l’opéra fait cohabiter des scènes intimistes et des tableaux historiques, religieux, où se déploient des personnages aux prises avec leur vérité intime et la raison d’état.
Cette production signée Krzyrztof Warlikowski fait son retour à Bastille mais cette fois dans la version italienne dite de Modène et donc sans “s”. Et si la distribution de 2017 était marquée par un casting d’exception, celle présentée aujourd’hui n’en était pas moins attendue avec Roberto Alagna dans le rôle emblématique. Mais grippé, il a dû renoncer au pied levé après le premier entracte (dont la tenue vocale impeccable n’en a rien laissé paraître) et se faire remplacer par Sergio Escobar qui, malgré la difficulté de l’exercice et après avoir trouvé ses marques, tiendra le cap.
Des personnages sous haute tension
De cette interrogation sur le pouvoir et la figure du père castratrice qui voit l’objet du désir reconnu que dans la perte ou la castration, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski avec le geste formaliste qu’on lui connait, livre une vision shakespearienne de l’œuvre, dominée par l’ambivalence et la complexité psychologique des personnages dont les affres intimes se fracassent contre le masque attaché au rang et au sang.
En France en 1559, puis en Espagne neuf ans plus tard. Élisabeth de Valois, fille d’Henri II de France, est promise à Don Carlo, l’infant d’Espagne, pour réconcilier les deux pays en guerre. Celui-ci étant venu clandestinement à Fontainebleau pour découvrir sa promise, les deux jeunes gens se rencontrent dans la forêt et tombent immédiatement amoureux.
Mais la mort de l’épouse du roi Philippe II l’amène à changer ses projets : il décide d’épouser lui-même Elisabeth.
Inconsolable, car aimant toujours celle qui est devenue sa belle-mère, Carlo, neuf ans plus tard, demande à son père, sous l’influence de son ami Rodrigue, marquis de Posa, la permission de gouverner les provinces flamandes soulevées, pour mettre un terme aux horreurs perpétrées par l’armée espagnole. Mais Philippe II, jaloux de la passion qu’il pressent, sans en être certain, entre la reine et son fils, refuse, et demande à Rodrigue, qui a sa confiance, de les surveiller. La rancœur de la princesse Eboli, une suivante d’Élisabeth qui aime Carlo en secret, et découvre que la reine l’a supplantée dans le cœur du jeune prétendant, complique encore la situation.
Pour installer cette galerie de portraits aux destins contrariés et/ou brisés entre complot de l’Inquisition, entrevues secrètes et intrigues politiques, Warlikowski crée avec la décoratrice Małgorzata Szczęśniak, un espace éclaté où les décors, les lumières, la vidéo et les costumes convoquent des images glaçantes ouvertes ou fermées, en projection totale avec ce drame intime, son histoire de violence et son introspection.
Propices au découpage temporel, séquentiel, et à la fragmentation d’un paysage mental aussi tourmenté que traumatique, les scènes s’opèrent à partir du regard subjectif de Don Carlo qui voit se remémorer l’épopée de cette tragédie familiale hantée par ses enjeux, ses fantômes et ses illusions perdues.
Des voix graves en majesté
La version italienne est ici dominée par Anita Rachvelishvili qui campe une princesse Eboli aussi impétueuse que perverse à l’amplitude vocale intense qui multiplie les registres, tandis que René Pape dans le rôle de Philippe II, incarne un souverain autoritaire et tourmenté dont le timbre parfaitement maîtrisé, restitue toute l’ambivalence du personnage.
Le tout emmené par la trame musicale passionnée du chef d’œuvre de Verdi qui exacerbe les actes manqués, la passion dévastée, la peur ou la haine mortifère, sous la direction énergique de Fabio Luisi.
Dates : du 25 octobre au 23 novembre 2019 – Lieu : Opéra Bastille (Paris)
Metteur en scène : Krzysztof Warlikowski