Un “Lear” coup de poing transcendé par Bo Skovhus à l’Opéra Garnier
“Lear” de Reimann créé à l’Opéra de Munich en 1978, d’après le drame de Shakespeare, marqué par son avant-gardisme musical où la puissance instrumentale imprime à la tragédie baroque toute sa fureur, sa violence et sa démesure, est de retour à l’Opéra Garnier.
Lear est un tyran vieillissant qui décide de partager son empire entre ses trois filles, à condition qu’elles déclarent publiquement l’amour qu’elles lui portent. Tandis que les aînées rivalisent d’allégeance, la benjamine Cordélia refuse le jeu de la confession publique entrainant les foudres du despote et son bannissement de la famille avant que les aînées décident de s’affranchir de l’autorité du souverain et le chassent du trône.
L’avidité de pouvoir des prétendantes est portée à son paroxysme. Elle renvoie à la folie des hommes prisonniers de leur soif de domination et d’auto-destruction, conduisant à une guerre fratricide qui coûtera finalement au roi son pays, sa famille et la vie.
Désintégration d’un monde donc où l’anéantissement est à l’œuvre ainsi que celle d’un homme déchu, abandonné à sa solitude, sa vieillesse, sa folie, et sa finitude.
La scénographie conçue par Rebecca Ringst donne à voir les prémices de cet apocalypse. Avec au départ et à l’abri d’un espace confiné, l’exposé d’un drame intime, version abstraite d’un château de bois brulé : famille et cour sont renvoyées dos-à-dos comme dans une cellule qui serait à la fois carcérale et rassurante. Puis, une fois Lear mis au ban de la société, il se retrouve dans un no man’s land offert à la désolation.
Bo Skovhus phénoménal en roi désœuvré
L’opéra est porté par une empreinte orchestrale, riche en percussions et en cuivres, qui accompagnent la perdition des personnages. Où la mise en scène de Calixto Bieito s’ancre magistralement sur la figure de la chute et son drame mortifère dont les timbres de l’orchestre inaugurent sans relâche la violence abyssale. Œuvre d’une extrême densité, elle se tient résolument dans la descendance d’Alban Berg où l’écriture musicale, foisonnante, est le point d’appui d’une tension dramatique ininterrompue.
La distribution, au diapason, imprime un rythme et une résonance sans faille à la tragédie crépusculaire de Shakespeare. Elle est emmenée par le baryton danois Bo Skovhus, phénoménal dans le rôle du roi désœuvré au bord de la folie. Se montrant tour à tour puissant et fébrile, autoritaire et imprévisible, sénile et enfantin, il nous entraîne au plus profond de l’âme humaine et de ses errements.
Quant à Fabio Luisi, il dirige d’une main de maître la partition et ses soubresauts ravageurs, entre fluidité et tension.
Dates : du 21 novembre au 7 décembre 2019 – Lieu : Opéra Garnier (Paris)
Metteur en scène : Calixto Bieito
excellent article !!!!!!!!!