La Version Browning justifie les attentes placées en elle
La Version Browning se concentre sur un professeur de grec et de latin prêt à quitter son établissement suite à des problèmes cardiaques. 1h20 durant, le digne et méritant cacique chancelle face aux coups de butoir d’un entourage bien moins bienveillant qu’il ne croyait. Robes professorales, impeccables chignons et papier peint ringard ressuscitent l’atmosphère d’une Angleterre des années 40 plus vraie que nature. Les révélations foudroient le malheureux en même temps qu’elles déstabilisent une audience accueillie d’abord sur le ton de la comédie avant de se retrouver face à un drame social acerbe et sans concessions. 7 comédiens animent cette galerie de personnages avec une vraie science de la duplicité pour des effets qui font mouche à chaque fois.
Cette Version Browning ressemble à un safari dans la brousse. L’acharnement généralisé contre la bête blessée informe sur les natures humaines. Le professeur craint par ses élèves et respecté par ses collègues voit l’édifice patiemment échafaudé s’effriter inexorablement. Les racontars initiaux colportés par un élève, un professeur et l’épouse dévouée prennent rapidement vie dès son arrivée sur scène. Le professeur Crocker Harris est une caricature d’universitaire sans vie ni enthousiasme. Il méprise ses élèves et se soumet aux règles du campus avec la raideur d’un vieux dinosaure. Difficile de croire qu’un tel personnage puisse jamais remettre en cause ses propres principes ou les lois de l’établissement. Mais le zèle de chacun pour le mortifier va le révéler à lui même ainsi qu’à ceux qui le jugeaient trop fragile pour oser réagir.
La scène du Théâtre de Poche Montparnasse accueille un huit clos claustrophobique où chacun s’annonce par quelques coups sur une porte imaginaire comme pour annoncer une sentence. Les acteurs, Jean-Pierre Bouvier en tête, magnifient le texte de Terence Rattigan et défilent dans un rythme cauchemardesque. Si le texte traduit de l’anglais fait la part au classicisme suranné d’un temps révolu, les pantomimes laissent peu de doutes sur les intentions de la pièce. Cette critique d’une société profondément injuste et hypocrite sous des atours habilement policés fait froid dans le dos. Pensant récolter les fruits d’un dévouement de toute une vie, Crocker Harris saura conserver sa dignité face aux coups du sort. La scène aura beau devenir cette cellule condamnant le héros à une pénitence éternelle, son flegme changera la sentence en repentir serein.
Chacun se demande ce que cache le titre de la pièce. Quelle est cette fameuse Version Browning? Véritable talisman qui révèlera le professeur à lui même, il faut aller le découvrir pour en savoir plus…
La pièce surprend par son faux rythme et ses révélations en série. Le drame surpasse la comédie et maintient l’attention de spectateurs interloqués tout du long. Le ton n’est pas vraiment au divertissement, mais plutôt à la psychanalyse théâtrale.
Dates : à partir du 1er septembre 2016
Lieu : Théâtre de Poche Montparnasse (Paris)
Metteur en scène : Patrice Kerbrat
Avec : Jean-Pierre Bouvier, Marie Brunel, Nikola Krminac