William Forsythe repousse les limites de la danse, en majesté à Chaillot

One Flat Thing, reproduced
CHORÉGRAPHIE William Forsythe ©Michel Cavalca

Deux pièces majeures Quintett (1993) & One flat thing reproduced (2002) de William Forsythe, interprétées par le Ballet de l’Opéra Lyon, offrent toute la mesure et l’étendue de son art, forgé d’un vocabulaire à l’origine classique mais qu’il n’a eu cesse de déconstruire pour en déjouer les codes préétablis et l’ouvrir entre rupture, déséquilibre, virtuosité et fluidité organique des corps. Le tout dans une esthétique (couleur de costume pour chaque interprète) qui fait partie intégrante de la chorégraphie.

Sur les boucles répétitives de Jesus Blood Never Failed Me Yet de Gavin Bryars et son emprise mélancolique, deux danseuses s’extraient sans fin d’une trappe dans le sol, où elles finissent par retomber toujours. Entre deux disparitions, elles dansent avec trois hommes desquels elles se libèrent sans cesse, en quête d’un perpétuel recommencement.

Pièce au résonance métaphysique puisqu’écrite au moment de la perte de la première femme du chorégraphe, elle met en scène des corps en fuite, qui finissent par s’étreindre et se raccrocher à une impulsion de vie. Le rythme des enchaînement est rendu d’autant plus hypnotique que la musique de Gavin Bryars répète en boucle un même texte dans une progression lancinante. La danse, d’une pure merveille, est tout en fragmentation et élancements, où les corps se frôlent, se percutent et s’étreignent dans une énergie toute en fluidité faite d’arabesques et de contorsions feutrées. Tandis que cette voix d’outre tombe poursuit sa litanie et nous ensorcelle jusqu’au final.

One flat thing reproduced qui lui succède est un chef-d’œuvre de danse contemporaine, inscrite depuis 2004 au répertoire du ballet. Dans une scénographie faite de tables alignées, les quatorze danseurs surgissent du fond du plateau, les traînant ou les poussant devant eux dans un bruit amétallique. L’espace se retrouve alors saturé, empêchant les corps de se mouvoir librement.

Forstyhe crée ainsi une contrainte qui devient paradoxalement jeu et libération du mouvement où les danseurs explorent toutes les possibilités de l’espace, passent entre les tables, glissent dessus, montent debout, se laissent tomber par terre, roulent au sol ou se faufilent dans les interstices. Parfois, la quête de l’espace devient enjeu de conquête, les danseurs se tirent, se poussent, coopèrent ou au contraire se perturbent mutuellement.

L’angle de vue de la chorégraphie dépend alors de l’endroit où nous nous trouvons, les corps apparaissant tantôt en entier, tantôt morcelés et à l’abri des repères de couleur vives émanant des costumes.

Le rythme est comme toujours calibré chez le chorégraphe où à la géométrie, angles droits imposés par les tables se répondent une gestuelle réglée au millimètre pour une écriture réinventée, hors de nos champs visuels habituels.

Une conclusion d’une puissance inouïe qui vient clore ce programme de haut vol pour une troupe à son meilleur. Bravo !

Dates : du 2 au 10 juin 2022 – Lieu : Théâtre National de Chaillot (Paris)
Chorégraphe : William Forsythe

NOS NOTES ...
Originalité
Chorégraphie
Interprètes
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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