« 1925–2025. Cent ans d’Art déco » : un siècle de lignes claires et de rêves géométriques

"1925–2025. Cent ans d’Art déco" : un siècle de lignes claires et de rêves géométriques
Maxime d’Angeac (né en 1962), architecte — Wagon-bar du Nouvel Orient-Express 2020-2025 Maquette échelle 1 (© Orient-Express)

« 1925–2025. Cent ans d’Art déco » : un siècle de lignes claires et de rêves géométriques

Le Musée des Arts décoratifs célèbre les cent ans de l’Exposition internationale de 1925 en rendant hommage à l’Art déco, ce moment où les formes se sont soudain mises à filer droit, où les matières se sont faites précieuses et les lignes, nettes comme un verdict.

« 1925–2025. Cent ans d’Art déco » n’est pas une reconstitution : c’est une traversée, un point de contact entre un passé incandescent et notre désir contemporain de beauté structurée.

L’exposition démarre là où on ne l’attend pas : dans le vestibule d’un train mythique. La nef est occupée par une cabine d’époque de l’Orient Express, datée de 1926, posée comme un fragment de film retrouvé. Trois maquettes grandeur nature du futur Orient Express — celui que Maxime d’Angeac réinvente pour 2027 — prolongent cette vision.

L’effet est immédiat : l’Art déco n’est pas ici un décor, mais un langage encore vivant, capable d’être réactivé avec la même fascination qu’il provoquait il y a cent ans.

Cette entrée en matière, immersive et théâtrale, pose l’exposition comme une proposition : regarder l’Art déco non comme une parenthèse historique, mais comme une matrice. Un ensemble de principes précis — géométrie, luxe maîtrisé, expérimentation matérielle — que le XXIᵉ siècle continue de réexplorer.

Après ce prologue en mouvement, le parcours s’articule en sections chronologiques et thématiques qui révèlent un Art déco foisonnant, bien au-delà des clichés du style « paquebot » ou du mobilier brillant à angles brisés.

Les pièces réunies — plus de 1 200 — racontent une époque où tout est mis en chantier : les arts graphiques, l’architecture, la mode, la joaillerie, les objets du quotidien. À chaque salle, on devine la tension d’un monde qui cherche à se reconstruire après la Première Guerre mondiale. Le style naît de cette nécessité de repartir de zéro : faire propre, faire simple, faire moderne.

Une élégance sous tension

Les décorateurs des années 1920 ne sont pas des stylistes : ce sont des ingénieurs du rêve. La scénographie intelligentement conçue souligne cette énergie : les galeries alternent entre splendeur manifeste et rigueur presque scientifique. Les influences orientales, omniprésentes, rappellent que Paris est alors une capitale-monde.

Les Ballets russes, l’Égypte fantasmée, l’art islamique, les miniatures persanes : tout ce qui passe par la ville se retrouve dans les ateliers, dans les vitrines, dans les bijoux. Sonia et Robert Delaunay, Eugène Printz, Clément Mère, Georges Bastard, René Prou, André Groult, Madeleine Vionnet, Jeanne Lanvin… Chacun apporte une variation du même souffle : une soif de nouveauté.

Le musée met en avant trois figures majeures, non pas comme symboles, mais comme exemples de divergences internes au mouvement.

Jacques-Émile Ruhlmann : le souverain

Lui, c’est l’Art déco à la française, celui qui trône dans les intérieurs des grands industriels. Ses meubles aux galuchats délicatement bombés, ses cabinets d’amarante, ses fauteuils gainés d’ivoire : tout respire la maîtrise absolue. On pourrait croire à une ostentation, mais non. Ruhlmann travaille la précision, pas la démonstration.

Eileen Gray : la clandestine visionnaire

Autodidacte, laqueuse, architecte, tisserande : Eileen Gray refuse la catégorie. Ses paravents sont des partitions géométriques, ses intérieurs sont pensés comme des espaces sensibles, presque philosophiques. Absente de l’exposition de 1925, elle n’en incarne pas moins l’un des esprits les plus libres de la modernité.

Jean-Michel Frank : le luxe du presque rien

Face à la profusion du mouvement, Frank choisit la sobriété. Ses intérieurs, saturés de blancs, de beiges, de matières pauvres – paille, parchemin, plâtre — sont des leçons de dépouillement. Il élève le silence au rang de principe décoratif, comme une résistance au bruit des années folles. Le trio permet au visiteur de saisir l’essentiel : l’Art déco n’est jamais unifié. Il est un terrain de tensions, d’écoles, de contradictions

Cartier, ou l’invention du glamour moderne

L’un des points culminants du parcours est la section consacrée à Cartier. Plus de 80 pièces illustrent l’audace formelle de la maison dans les années 1920 : bracelets, nécessaires, montres, broches. Couleurs vives, constructions géométriques, contrastes de textures : on voit comment Cartier adopte sans complexe les influences orientales pour créer un langage qui deviendra iconique. Les combinaisons chromatiques — rubis, saphirs, émeraudes, onyx — donnent l’impression d’observer un Art déco en version concentrée.

La joaillerie devient une miniature du monde : fragments de cultures, motifs glanés aux quatre coins du globe, réinterprétés avec une élégance quasi mathématique. Ce segment rappelle que l’Art déco n’est pas un style purement français : c’est une cosmopolitique du luxe.

Les ateliers et les dessins : la machinerie du style

Le musée fait un geste rare : montrer non seulement les œuvres, mais la pensée qui les a précédées. Maquettes de pavillons de l’Exposition de 1925, dessins de Groult, projets de vitrines, cartons de broderies, études de mobilier : ces documents dévoilent un mouvement qui s’invente par couches successives, par essais, par esquisses. On comprend alors la puissance de l’Art déco : il conjugue artisanat d’exception et modernité industrielle. La main et la machine ne s’opposent pas ; elles se potentialisent

Dans les sections consacrées au voyage, l’Orient Express apparaît comme un fil rouge : un symbole parfait du style. Dès les années 1920, les wagons-lits deviennent des vitrines mouvantes de l’esthétique moderne : Lalique aux parois, velours épais, métaux gravés, motifs stylisés. L’exposition fait le parallèle avec la renaissance contemporaine du train.

Maxime d’Angeac réinvente le mythe avec une rigueur sculptée : bois précieux, broderies, lumières enveloppantes. Les décors ne sont pas copiés : ils sont réinterprétés, comme si l’Art déco avait accepté de migrer lentement vers le futur. Le résultat est convaincant : on a le sentiment qu’un siècle sépare les deux versions du train, mais qu’un même souffle les anime.

En conclusion, « Cent ans d’Art déco » n’est pas seulement une exposition d’histoire du design. C’est un miroir tendu à notre époque. On comprend, en traversant les galeries, pourquoi l’Art déco nous revient aujourd’hui avec une telle force.

Parce qu’il propose quelque chose que notre monde inquiété semble réclamer : de la clarté, du soin, des lignes qui rassurent, des objets qui durent, des matières qui portent une histoire. L’Art déco, c’est la modernité qui voulait être stylée. Et cette ambition, loin d’être naïve, semble aujourd’hui toujours aussi puissante.

 Dates : du 22 octobre 2025 au 26 avril 2026 – Lieu : Musée des Arts décoratifs (Paris)

NOS NOTES ...
Intérêt
Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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