Adam Nidzgorski : l’art du lâcher prise
Peintre autodidacte, cet éducateur sportif à la retraite réinvente l’art brut. Cherchant volontairement une « déconnexion de la pensée », il produit une œuvre dépouillée, parsemée de visages aux formes simples et aux grands yeux mystérieux. A voir jusqu’au 24 octobre à Cormeilles-en-Parisis (95).
A l’image des personnages qu’il peint, son visage rond laisse toute la place à de grands yeux bleus, écarquillés et mobiles, derrière lesquelles on perçoit une vie intérieure palpitante. Adam Nidzgorski est un sensible, dirait-on.
Oui, mais refoulé dans un premier temps. Né d’immigrés polonais dans le quartier ouvrier de Cormeilles-en-Parisis, il ne côtoie ni peinture, ni livres, et il lui est interdit de devenir danseur. S’exprimant d’abord par le corps, il est devenu professeur d’éducation physique, et ne commence à manier un pinceau qu’à 30 ans.
Sans titre – 2009
Les formes simples qui en surgissent sont incomprises: on lui reproche de dessiner comme un enfant. « On dit parfois de mes dessins qu’il n’y a pas de perspective, pas d’oreilles… mais ce sont des choses qui n’ont pas d’importance pour moi, je n’y fais pas attention. Il faut quelque chose qui m’émeut. » Il poursuit, et se fait exposer très vite, en 1965, en Tunisie, puis en France. Vient ensuite le groupe d’artistes post-68 « Concordance« , qui s’attache à réfléchir sur la place de l’art dans la société. Aujourd’hui à la retraite, il en est encore étonné: « Le processus s’est mis en marche je ne sais trop comment, confie-t-il modestement, et pour moi la peinture est toujours un mystère. »
La gravité de la vie.
Et indéniablement, le mystère plane aussi pour le spectateur. Pas de titre, rarement de décor, des traits réduits au minimum, l’interprétation est ouverte. Cela évoque l’art brut, sa spontanéité et ses émotions. Ces grands yeux ronds au regard effaré ou accusateur semblent, en nous fixant ainsi, nous renvoyer à notre propre étrangeté, à notre condition incomprise d’être humain. « Souvent les gens disent que ce que je fais est triste, mais moi j’y vois plutôt de la gravité, la gravité de la vie, » explique Adam Nidzgorski, d’un air subitement grave lui aussi.
Alors devant l’extérieur qui semble si effrayant, ces figures colorées se protègent, serrent leurs corps maladroits, se rétractant dans l’espace du tableau. Souvent, ils sont deux, une mère et un enfant. « Je crois que c’est un besoin que j’ai eu : j’ai reçu énormément d’amour de ma mère, qui ne savais ni lire ni écrire, mais qui m’a permis de dépasser toutes les difficultés de la vie. je crois que c’est ce que je trouve de plus beau, la relation de la mère à l’enfant.«
Ces personnages obsessionnels se déclinent sur les supports les plus divers, du papier recyclé à l’assemblage de tissus, en passant par le papier d’aluminium et la laine tissée. Un mélange des matières et une déconstruction progressive du sujet qui font que, malgré une continuité évidente, Adam Nidzgorski sait se renouveler. Si bien que l’on rencontre, incarnés par les mêmes figures, aussi bien des farandoles d’allégresse que des idoles religieuses évoquant l’art byzantin.
Quête spirituelle
Déconcertant, le peintre ne se fait que médium d’un message qui le dépasse. « Je n’ai rien derrière la tête, j’ai tout en moi. Mais quand je termine un dessin, je ne sais pas ce qu’il s’est passé. J’ai l’impression que c’est seulement ma main. »
Une déconnexion totale de la pensée, qu’il revendique pour lui-même, car « dans le vide il y a tout« , rappelle-t-il sagement en citant le bouddhisme ; mais aussi pour les autres. « Je veux que le spectateur enlève son masque et regarde mes tableaux avec émotion, sans chercher les codes de l’art. »
Cet homme au sourire animé fait de la peinture son chemin vers le sacré, une façon d’approcher ce « quelque chose que l’on ne connaît pas« . Avec pudeur, Adam Nidzgorski frappe à la porte de la vie, d’une spiritualité, et de la peinture. Pari réussi.
Jusqu’au 24 octobre à la salle Lamazière, Cormeilles-en-Parisis (95), à 20 minutes de Paris depuis la gare Saint Lazare (ligne L).