Des âmes en crise sous le regard affûté de Julie Duclos
Lars Norén est un des dramaturges suédois les plus radicaux de la seconde moitié du XXè siècle. Considéré comme le digne successeur de Strindberg ou Bergman, il ne cesse de creuser au cœur des angoisses existentielles et relationnelles pour en décortiquer les ressorts psychologiques et intimes.
Kliniken est un texte sur la folie. Composé de brides de conversation de patients d’une unité psychiatrique dont la parole compulsive, impulsive, fragmentée, de chacun des personnages, permet de se soustraire au temps présent et faire advenir une vérité.
Un monde intranquille
La pièce met en scène des personnages qui occupent le temps comme ils le peuvent. On les observe aller et venir, discuter, et affronter le quotidien d’une journée ordinaire. Présent avec eux, un animateur infirmier va et vient.
Ils nous livrent des récits décousus porteurs de blessures et de résurgences de souvenirs enfouis mais aussi un regard critique sur le monde, aux prises avec une souffrance tue, des vagues d’agressivité, des sursauts de combativité, une ironie salvatrice et une humanité à fleur de peau.
Les mots se font alors les catalyseurs des humeurs, des peurs, d’une violence contenue, des angoisses, des transgressions, du jeu de soumission et de domination des personnages.
L’écriture féroce et incisive de Lars Norén dévoile autant qu’elle ne dissimule. Elle cristallise par delà l’enfermement intérieur et l’errance, les rapports de force entre les protagonistes et leur intanquillité, propices à une introspection plurielle, rebelle et intime.
Pièce très noire mais non sans humour car si le texte révèle des parcours de vie avec son lot d’échecs, de chagrins, de destins brisés et de désirs inaccomplis, il imprime aussi à travers cette libération de la parole, un acte de résistance et une volonté commune de faire bloc.
Dans sa mise en scène inventive et un décor clinique mais lumineux, qui offre une ouverture sur l’extérieur avec son possible échappatoire, Julie Duclos creuse, à bonne distance, cet embrasement méditatif et sensitif avec ses turbulences, ses débordements et ses ruptures qui lui permettent de fragmenter l’espace de perdition avec de la vidéo révélant ses coulisses, d’introspection, où se créent alors un autre rapport au monde : sensible et onirique.
Dans une traversée aussi chorale que sensorielle, le jeu s’imprègne de la progression dramatique et déconstruite de la langue du dramaturge servi par des comédiens magnifiques. Bravo !
Dates : du 10 au 26 mai 2022 – Lieu : Odéon – Théâtre de l’Europe (Paris)
Metteur en scène : Julie Duclos